Le vent rugissait à travers les arbres et les massifs dépouillés de la Colline Saint-Jacques, portant avec lui les chuchotements séculaires des ancêtres, comme des échos funestes de l’histoire inscrite dans le sol. Jadis gardien de secrets enfouis, ce lieu sacré, refuge de mystères anciens, devenait malgré lui, le sinistre théâtre où les destins de deux hommes manipulés par des désirs cupides et des forces plus sombres que la nature elle-même, allaient s’imbriquer dans une tragédie commune.
___________
Au cœur de cette nuit d’orage, la lueur spectrale d’un téléphone portable esquissait les contours de Jean, tel un fauve traquant sa proie et émergeant de l’ombre. Sa silhouette se découpait dans la noirceur, une présence menaçante, animée d’une détermination implacable à pourchasser Paul sur ces sentiers tortueux, le long de la falaise. Les gouttes de pluie glacées, coupantes comme des dagues acérées, s’abattaient dans l’obscurité, ajoutant une atmosphère inquiétante à cette chasse à l’homme. Les pas de Jean étaient alourdis par la boue qui entravait sa progression, mais sa détermination restait inébranlable. Rien ne l’arrêterait dans cette poursuite à travers les dédales obscurs de la Colline Saint-Jacques. Il ne laisserait pas celui qui se prétendait son ami, le duper une nouvelle fois.
Alors que Paul venait d’éteindre sa lampe torche et qu’il était sur le point de se fondre dans l’épaisseur de cette nuit tourmentée, Jean scrutait les ténèbres pour ne pas le perdre et le laissait s’évanouir dans ce paysage touffu. L’averse fouettait son visage et brouillait sa vue, mais il s’obstina à percer l’obscurité et finit par distinguer le profil de Paul grelottant sous un vieux chêne. Il distinguait à peine les contours de celui qui se croyait seul et se préparait à dissimuler son magot. Celui, qui parvenu à son repaire, ignorait que Jean avait guetté son départ, qu’il l’avait suivi de près depuis son ascension, et qu’il ne comptait pas repartir d’ici sans avoir empoché sa part du butin.
Le vent soufflait fort sur la Colline Saint-Jacques, générant une symphonie lugubre de plaintes sifflantes qui transperçaient les arbres dénudés dont les branches grimaçaient et pointaient comme des doigts osseux vers le drame imminent. Jean s’approcha de Paul en l’éclairant de la lueur de son portable et le vit sursauter. À courte distance, il discerna une peur évidente dans ses yeux et étira ses lèvres dans un sourire machiavélique. La tension palpable était amplifiée par le grondement lointain du tonnerre. Le visage ruisselant, Jean fixa les poches de Paul. Elles étaient si pleines qu’elles le faisaient se courber en avant. Et pour cause. Remplies de barres étincelantes qui irradiaient une aura maléfique, alimentant l’avidité de Jean pour ce trésor maudit, leur poids le voûtait tel un vieillard accablé par le fardeau des années.
— Tu ne pouvais pas t’échapper éternellement ! déclara Jean, d’une voix froide, la pluie martelant sa confession comme un tambour funèbre.
Le rugissement du vent s’intensifia, comme si la Colline Saint-Jacques, elle-même, hurlait de rage face à l’inexorable et terrible confrontation qui s’amorçait entre les deux hommes, ajoutant une couche de terreur à cette séquence oppressante. Le visage tordu dans un cruel rictus, Jean éteignit son téléphone portable. Dans une danse macabre, les gouttes de pluie éclairaient le visage livide de Paul qui se savait à la merci de celui dont il connaissait les colères. Sans véritable moyen de défense, hormis ses lingots d’or, en capacité de l’assommer d’un choc violent sur la tempe, il se sentait vulnérable.
— On peut encore trouver un arrangement, dit-il, de sa voix rauque, son cœur tambourinant dans sa poitrine.
Jean ne répondit pas. Il ne montrait aucun signe de clémence et Paul se sentait acculé, piégé, en grand danger. Il réfléchit à toute vitesse pour trouver une échappatoire, mais dans cette obscurité hostile, spectatrice muette de leur duel orchestré sous l’égide du mal, aucune solution ne lui venait à l’esprit. Seule la négociation pouvait le sortir de ce mauvais pas.
— Je vais te donner ce qui t’appartient et tu me laisseras repartir. Ça te va comme ça ?
Jean demeurait silencieux. Alors qu’ils étaient figés dans un face-à-face tendu, Paul chercha instinctivement à s’éloigner de celui qui l’effrayait par sa haute stature et qui ne semblait pas disposé à pactiser. Il recula de quelques pas et trébucha sur un caillou, provoquant un grognement sourd de la Colline Saint-Jacques. Les trombes d’eau qui tombaient en continu depuis des heures avaient rendu le sol instable. Il se releva précipitamment, mais les pierres roulèrent sous ses pieds et il perdit l’équilibre. Emporté par un éboulement soudain, il tomba en arrière et fut aspiré par une fissure béante qui venait de se créer. Son cri de surprise résonna dans le creux de la roche, tandis qu’il réussissait à s’accrocher à une saillie rocailleuse et que la pluie battante martelait le sol comme le battement d’un cœur mourant.
Jean entendait Paul au fond de la cavité le supplier de le sortir de là. Trempé jusqu’aux os, il sortit son téléphone portable pour éclairer les environs et trouver un moyen de récupérer le magot qui venait de disparaître dans la veste de Paul. Il repéra un vieil arbre arraché dont les racines exposées pourraient servir de corde. Sans perdre de temps, luttant contre la tourbe collante qui s’accumulait sous ses semelles et dans laquelle il s’enlisait, Jean arriva finalement jusqu’au tronc qu’il émonda de quelques branches filandreuses.
— Attrape-les, je vais te remonter ! cria-t-il à Paul, en lui tendant les rameaux gorgés d’eau.
Paul s’agrippa à cette planche de salut, mais ses poches alourdies par les lingots d’or et les parois glissantes compliquaient sa remontée. Jean tira de toutes ses forces pour l’aider à se hisser et réussit à le sortir hors du trou. Tous les deux étaient à bout de souffle. Pas un mot ne s’échangea entre eux, quand un éclair zébra le ciel, illuminant brièvement leurs visages. Jean était debout et ses yeux brillaient d’une détermination féroce, tandis qu’il observait Paul, recroquevillé à genoux dans une expression de terreur. Le répit fut de courte durée. D’une poussée brutale, Jean lui asséna un méchant coup de botte et l’envoya rouler dans la boue. Paul avait chuté sur le dos et s’était fait mal. La douleur ne devait pas le clouer au sol. Sa survie en dépendait. Il tenta de se relever, mais Jean se rua sur lui et bloqua le haut de son corps entre ses jambes pour l’empêcher de bouger.
— C’en est fini de tes magouilles ! cracha-t-il. T’as voulu la jouer solo et t’as perdu !
Paul essaya de se débattre, mais son adversaire le maintenait fermement à terre tout en transférant les lingots d’or dans sa besace. Une fois les poches de Paul complètement vidées, Jean lui écrasa les mains sous ses grosses semelles et entreprit de le renvoyer dans le trou d’où il venait de l’extraire en le tirant par sa veste. Paul tenta désespérément de se rattraper en s’agrippant aux pierres et aux racines qui l’entouraient, mais il ne put rivaliser avec la puissance de Jean qui le fit basculer dans le vide. Dans un hurlement d’effroi étouffé par le claquement du tonnerre, Paul fut avalé dans les profondeurs abyssales et sombra corps et âme.
Jean s’approcha du bord de la fosse avec un calme olympien et se para d’un air consterné pour regarder en bas. Il ressemblait au témoin désœuvré d’une affreuse tragédie, alors qu’en réalité, il était heureux de cette finalité. Il songeait que si on parvenait à retrouver le cadavre de Paul, son ancien associé et ennemi juré, les gens penseraient à un accident malheureux, sans se douter une seule seconde qu’il s’agissait d’un règlement de compte sanglant, motivé par une rancune tenace et une soif de fortune. Un claquement de tonnerre le fit lever les yeux. La foudre venait de frapper le toit de la chapelle et cette vision le remua dans ses entrailles. Alors qu’il se tenait debout, les bras ballants devant la faille, et que le rideau de pluie effaçait déjà les traces de son passage et de leur lutte, un sentiment de culpabilité le traversa. Le poids de la honte était trop lourd à supporter. Il repoussa avec force ces pensées négatives, puis murmura quelques mots inaudibles pour conjurer le fantôme de Paul, avant de jeter un œil sur les flancs de la Colline Saint-Jacques, jadis sanctuaire de tranquillité, désormais complice involontaire de ce crime crapuleux, qui semblait le juger de son acte barbare.
Incapable de soutenir ce regard accusateur, Jean se détourna brusquement. Et tandis qu’il s’éloignait à grands pas sans un regard en arrière, que les arbres tanguaient sous les assauts du vent, que les gouttes de pluie lacéraient son visage comme des lames de rasoir, l’or brûlant qu’il sentait dans ses poches adoucissait le flot de ses tourments. Marchant sous la houle, il oscillait entre la satisfaction d’avoir obtenu justice et réparation du préjudice subi depuis longtemps, et celle d’avoir assouvi sa vengeance. Au fond, Il avait eu ce qu’il voulait et c’est tout ce qui comptait.
___________
Épilogue
Après que la logistique de l’avidité eut métamorphosé un lieu, autrefois serein, en un décor mortifère, où seul le vent narrait en silence les turpitudes de la cupidité et de la trahison, la nature retrouvait sa souveraineté. Pourtant, la Colline Saint-Jacques demeurerait la gardienne éternelle du sombre récit gravé dans ses entrailles, murmurant ses secrets uniquement les soirs d’orage, lorsque des sons énigmatiques, tels des lamentations, s’élevaient de ses hauteurs. Ces plaintes insistantes donnaient aux habitants de la plaine l’impression que ces arbres centenaires poussaient des gémissements, comme s’ils lançaient d’étranges appels au secours.
Ce soir-là, possédée par les éléments déchainés, la Colline Saint-Jacques connue pour être un joyau vert, un havre de paix, devint la scène d’une tragédie orchestrée par un homme dont les désirs insatiables avaient éclipsé toute humanité. Alexandre Dumas lui-même aurait trouvé matière à intrigue dans ce scénario manichéen, où le bien et le mal s’entrelacent comme des serpents indomptables.


Laisser un commentaire