Voici les premières lignes de mon roman en 3 tomes
CHAPITRE 1
Mon enfant, je regarde jusqu’au fond de ton cœur, et je sais tout de toi
Dès le commencement…
Au milieu de collines verdoyantes, de hautes montagnes et de jardins aux mille couleurs, une ville d’or pur aussi clair que le cristal se dresse au cœur d’une nuée bleutée. La citadelle, brillant d’un éclat semblable à celui d’une pierre de jaspe est entourée d’une haute muraille rythmée par douze portes en pierres précieuses, toutes gardées par un ange muni d’une lance.
Sur la place de cette ville au sol aussi transparent que lumineux, une foule immense est entassée. Sont-ils des centaines, des milliers, une multitude ? Impossible de le savoir, tant ils sont nombreux. Revêtus d’un vêtement blanc immaculé, ces ” Innombrables ” agitent avec enthousiasme une palme dans leur main droite et entourent un Trône colossal, d’où s’échappent des éclairs, du tonnerre et un puissant feu, et au pied duquel, sept lampes brûlent d’une flamme ardente.
— Mes yeux parcourent la Terre ! gronde une voix magistrale s’élevant du Trône. Quel est celui dont le cœur sera trouvé intègre devant moi ?
— C’est d’ici que sa parole frappe le monde comme l’éclair ! proclament d’un même élan les « Innombrables ».
— Quel est celui qui sera jugé digne et se lèvera en mon Nom ? poursuit la voix tonitruante.
— Loué soit son amour ! se répond en chœur et en écho la kyrielle d’adorateurs. Louée soit sa justice !
Proche du timbre du cor, mais d’une sonorité plus sourde, par sept fois le shofar[1] emplit les Cieux. Il marque de longues pauses avant les reprises, puis finit par se taire, quand subitement, une main colossale surgit du Trône, traverse le feu et fait s’agenouiller la multitude. Et dans l’immensité des Cieux, tout se fige. Plus rien ne bouge ni ne s’entend jusqu’à ce que la voix gronde à nouveau :
— Qui enverrai-je ?
La question résonne comme un coup de tonnerre. Le genou à terre et le front bas, nul dans l’assistance n’est en mesure d’y répondre.
— Qui enverrai-je ? est-il répété avec force.
L’assemblée reste muette. Et voici que paume ouverte, la main se tourne et s’abaisse en perforant la couche nuageuse. L’index se tend. Il pointe vers le bas, et simultanément, la Terre s’affiche comme sur écran géant. D’abord plane et statique, la représentation du globe terrestre prend du relief et s’anime.
Captivée par le film, la multitude a les yeux rivés sur le survol de la planète bleue en vision tridimensionnelle panoramique.
L’approche se fait d’abord en douceur. La Terre est comme… caressée à distance, puis l’image s’élargit avant de se distendre comme un vieux caoutchouc mou. C’est alors que les contours des nations se bossèlent, se modèlent et se sculptent. En travelling avant, le focus se concentre sur les pourtours de l’Europe et ceux des pays limitrophes. Il s’attarde sur les frontières maritimes et montagneuses de la France, de l’Espagne, du Portugal et du Royaume-Uni avant de se déporter vers la gauche. Et voici, qu’identifiables par leurs côtes déchiquetées, la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord se présentent au milieu de l’océan.
Localisation initiée. Plan fixe, gros plan sur l’Angleterre qui se rapproche à grande vitesse, puis soudaine poussée vertigineuse. Dans une trajectoire initiée, tout droit devant, le plan se resserre. Il pique au Sud, met le cap sur une région. Puis, sous l’objectif à tête chercheuse, le choix se précise. Guidée par le doigt du Très-Haut, la loupe grossit l’image qui devient plus nette et se focalise sur une ville, favorise un périmètre, délimite un quartier, s’oriente vers une rue, investit une maison à étage, s’introduit dans une chambre sombre et désigne un fils de l’homme.
Depuis les Cieux, la multitude quitte l’écran des yeux et se tourne vers le Trône. Puis, dans un murmure à l’unisson, ils interrogent d’une même voix Celui Qui règne sur toute la création :
— Est-ce celui qui se lèvera pour nous ?
— À celui qui m’entend et qui m’ouvre, la décision reviendra ! répond le Souverain.
Tel un vent impétueux, la réponse gonfle les tuniques de la nuée de témoins attentifs, alors que le doigt divin frôle la nuque du garçon choisi.
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S A M E D I J O S U É |
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CHAPITRE 2
Je sais quand tu t’assieds et quand tu te lèves
ÉTÉ 1996
Brighton, 7 heures du matin, le premier jour, dans la chambre de Josué
— Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, récite Josué en se préparant devant la glace avant d’aller en cours. Traversé çà et là par de brillants soleils ; le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j’ai touché l’automne des idées, et qu’il faut employer la pelle et les râteaux pour rassembler à neuf les terres inondées où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux[2].
Minutieux, le garçon de dix-sept ans termine de travailler son look gothique, version vampire post apocalyptique dans la salle d’eau de sa chambre, lorsqu’un souffle diaphane effleure sa nuque. Il frissonne, s’interrompt dans son envolée baudelairienne, puis pose une main sur l’arrière de sa tête. Il en profite pour rassembler ses cheveux teints en brun foncé et resserrer le large ruban les retenant en queue-de-cheval.
— Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve trouveront dans ce sol lavé comme une grève, le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? poursuit-il en se regardant dans le miroir. Ô douleur ! Ô douleur ! Le Temps mange la vie et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur, du sang que nous perdons croît et se fortifie !
D’un geste nonchalant, Josué repousse la longue mèche lui cachant l’œil droit, puis avec méthode, il surligne son regard d’un trait de crayon khôl, assombrit ses lèvres de poudre charbonneuse, accroche à son cou une croix celtique (trophée remporté à l’issue d’un combat), coince le bas de son baggy à zip dans ses rangers[3], laisse pendre ses bretelles sur ses hanches, attache deux gros ceinturons cloutés autour de sa taille, et boutonne son col Mao. Pour finir, il agrémente ses poignets d’un épais bracelet de cuir, glisse une bague-armure à son annulaire droit et enfile trois anneaux de quartz. Un, au majeur droit. Les deux autres sur la main gauche, annulaire et majeur[4].
Enveloppé de noir, Josué se détache du miroir, fait demi-tour et s’avance dans sa chambre d’un pas lourd.
— T’es fourré où, le pacha ? grogne-t-il en fouillant la pièce des yeux.
Le pacha, ainsi surnomme-t-il Absha, son furet domestique offert par un Metalleux qu’il fréquente et qui élève des rongeurs. Fusionnel avec son petit animal, Josué ne se sépare pour ainsi dire jamais, de son furet au poil blanc comme la neige qui passe le plus clair de son temps à sommeiller là où il fait le plus chaud. Absha est une vraie marmotte qui dort en moyenne quinze à vingt heures par jour, soit recroquevillé dans un coin calme et à l’abri, soit entortillé sous les draps de son maître ou soit ratatiné dans ses grandes poches de manteau.
Occupé à grignoter un fil électrique, l’animal reste caché.
— Eh le pacha ! s’agace Josué. T’es planqué où ?
Repéré par son pout-pout, le cri de joie caractéristique du furet, Absha est débusqué sous la commode, collé à une bouteille de whisky vide. D’une main leste, son maître l’attrape par la peau du cou et lui enfile son harnais ventral. La petite bête est docile. Elle se laisse faire sans broncher ni bouger, et au bruit de succion de Josué, elle reconnaît le signal et grimpe sur son épaule. La démarche traînante, le garçon descend au rez-de-chaussée, son furet en bandoulière.
— Ouvre les yeux de mon cœur, fredonne-t-il. Ouvre les yeux de mon cœur, je veux te voir… Pala la la la la pa la la la…
[1] Chofar ou Schofar. Instrument de musique du rituel hébraïque = trompette, corne, corne de bélier.
[2] Charles Baudelaire – Extrait du poème “l’Ennemi“.
[3] Note. Bottes de combat militaires.
[4 Josué Carefoot Freeman. Détestant le genre humain, hormis sa famille proche et quelques rares personnes, Josué est adepte de groupes de musique tendus vers l’occulte et le satanisme. Il aime porter les signes distinctifs et caractéristiques le reliant à sa communauté gothique. Proche du mysticisme prôné par certains Goths (férus de musique classique, celtique ou médiévale, qui lisent Shakespeare, Edgar Allan Poe, Maupassant, le Marquis de Sade, Oscar Wilde ou Arthur Rimbaud, et qui écoutent des musiques mystiques ou post-punk), Josué a hissé Charles Baudelaire au rang d’idole absolue et déclame ses vers à longueur de temps. Il a une admiration sans borne pour celui qu’il appelle “ LE GRAND CHARLES ”. Ses proses mélancoliques l’accompagnent au quotidien et ses rimes illustrent à propos ses tourments les plus profonds. Ce jeune poète dans l’âme est aussi branché films d’horreur, jeux de rôles et Black metal.
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