Il était une fois, en des temps anciens, une naissance très attendue. Celle du futur prince ou de la future princesse du royaume « D’IMPERFECTION » où rien n’était irréprochable, impeccable, magnifique ou admirable. Dans cette contrée, depuis des siècles, les constructions étaient toutes montées de travers, les routes étaient chaotiques, et les gens s’appréciaient tel qu’ils étaient. En somme, beaux ou laids, difformes ou pas, intelligents ou retardés, cela n’avait pour eux aucune espèce d’importance, puisque pour eux, l’important était ailleurs…
En effet, au royaume « D’IMPERFECTION » chacun se contentait de ce que la nature lui avait donné, et la beauté s’appréciait d’abord et avant tout, à l’intérieur. C’est-à-dire, dans le cœur.
Oui, dans ce royaume, la beauté du cœur était la qualité première et tout le monde travaillait à la posséder, à la voir ou la trouver en chacun, à commencer par le roi et la reine qui avaient fait graver sur le fronton de leur château « LA BEAUTÉ DU CORPS EST ÉPHÉMÈRE, MAIS CELLE DU CŒUR EST ÉTERNELLE ». Ainsi, depuis l’annonce de la grossesse de la reine, tout le pays se préparait à accueillir cet enfant indubitablement formidable et merveilleux, malgré ses possibles défauts ou ses anomalies physiques ou intellectuels.
CHAPITRE 1
C’était enfin le grand jour !
La naissance était imminente, et au château tout de guingois et bâti n’importe comment, avec des tours arc-boutées, des fenêtres sans ouverture et des murailles avec des trous, c’était l’effervescence.
Dans la chambre royale, l’accouchement se déroula fort bien. Heureuse, la reine mit au monde, une fille, toute rose, toute dodue, toute souriante et… toute belle… Si belle et si parfaite que les personnes présentes, ne purent s’empêcher de s’extasier sur elle, à commencer par ses parents, déjà gâteux.
– Magnifique ! s’exclamèrent-ils d’un même élan. C’est assurément le plus beau des bébés !
Envoûtés par la beauté de leur fille, et face aux déferlements de compliments de tous les gens fascinés par la petite et comme ensorcelés, les parents l’appelèrent spontanément « BEAUTÉ ».
CHAPITRE 2
À partir de ce jour, la beauté de « BEAUTÉ » devint le sujet de conversation principal et préféré de tous, et au royaume « D’IMPERFECTION », tout commença à aller de travers, mais de travers pas comme d’ordinaire, plutôt de travers contrairement à d’ordinaire, puisque par sa grande beauté, la princesse chamboula les valeurs et les principes de « beauté du cœur » intégrés depuis des générations par la monarchie et par ses gens.
Désormais, plus rien n’était comme avant. Avec l’arrivée de Beauté, tout le monde vécut un bouleversement intérieur dans sa mentalité et dans son cœur. C’était comme si, par sa seule présence, Beauté avait jeté un sort à tous ceux qu’elle croisait et qu’aucun ne pouvait s’empêcher de la trouver fascinante, captivante ou troublante. De l’avis de beaucoup, il manquait de superlatifs pour dire, ô combien elle était belle !
CHAPITRE 3
Ainsi, à mesure qu’elle croissait et que sa beauté s’affirmait davantage, ses parents et ses nourrices lui répétaient qu’elle était belle à croquer, qu’elle était belle du lundi au dimanche, qu’elle était belle en robe de jour ou en jupon de nuit, qu’elle était belle de l’hiver à l’été, et belle du lever jusqu’au coucher du soleil qu’elle éclipsait par sa grande beauté.
À l’âge des études, ses professeurs en rajoutèrent et lui dirent qu’elle était belle en étudiant le piano, belle en apprenant le latin, belle en s’entraînant aux pas de danse et belle en faisant ses vocalises.
Au fil des ans, sans cesse complimentée, la princesse estima qu’elle était assurément la plus belle fille du monde et devint narcissique. Pas un des nombreux miroirs du château, pas un lac clair, pas une fenêtre en contre-jour n’échappa à son désir de se contempler, à son besoin de se mirer, à sa volonté d’admirer un aussi parfait reflet.
Très exigeante, la princesse choisit ses amies sur leur belle allure, car elle ne voulait s’entourer que de jolies et d’élégantes jeunes filles pour encore magnifier sa beauté et rehausser son éclat. Elle exigea aussi que ses parents fassent reconstruire le château, de manière à ce qu’il soit extraordinaire, aussi beau qu’il puisse l’être et digne de sa beauté.
Fous d’amour pour leur fille et en extase perpétuelle devant elle, le roi et la reine répondirent aussitôt à ses exigences et remplacèrent par la même occasion, toute la décoration de travers par de magnifiques meubles et de sublimes ornements.
Bien évidemment, s’agissant de ses tenues, Beauté réclamait des robes exceptionnelles pour parfaire sa beauté, et des bijoux incomparables pour magnifier son teint irréprochable, son fabuleux port de tête et son exceptionnelle chevelure.
CHAPITRE 4
Alors qu’elle grandissait, Beauté devint de plus en plus narcissique. Au petit matin, à peine les yeux ouverts, elle s’écriait dans sa jolie chambre ornée de parures, qu’elle était la plus belle. Puis, sitôt debout, elle demandait à ceux qu’elle voyait si elle était bien et toujours la plus belle. Ce à quoi, tous répondaient qu’elle était assurément la plus ravissante de toutes les demoiselles.
CHAPITRE 5
Lorsque Beauté atteignit l’âge de vingt ans, elle se confia à ses parents.
– Je voudrais me marier et avoir de très beaux enfants. Mais pour cela, il me faudrait l’époux le plus exceptionnel et le plus beau d’entre tous. Il faut bien entendu un homme parfait pour une femme aussi parfaite que moi !
Comme d’ordinaire, le roi et la reine répondirent aux désirs de leur fille et firent passer le message disant que la princesse Beauté voulait se marier au plus beau et au plus parfait des hommes. Par oral ou par écrit, l’annonce se transmit de lieu en lieu et, aspirant à épouser la plus belle des jeunes filles, les prétendants affluèrent au château.
Mais hélas, bien trop difficile, bien trop focalisée sur l’apparence et absolument pas sur les qualités intérieures, malgré les dizaines et les dizaines de candidats rencontrés, Beauté ne trouva jamais chaussure à son joli pied.
Aucun homme ne trouva grâce à ses yeux. Même ceux qui étaient tout à fait charmants, avaient, selon elle et ses critères de perfection, des défauts de ci ou de là qu’elle ne pouvait accepter. Déterminée à trouver la perle rare, elle chercha son futur époux plusieurs années encore sans jamais rabaisser ses exigences.
CHAPITRE 6
Le temps passant, ses parents décédèrent. Ses plus grands admirateurs n’étant plus là pour la complimenter, la nouvelle reine devint aigrie, et son aigreur entacha et altéra sa beauté. Peu à peu, ses traits se durcirent et la population retrouva enfin ses esprits. Tous revinrent à de meilleurs sentiments… C’est à dire, à ceux du cœur…
Les années se rajoutant aux années, la reine devint une vieille femme, seule, frustrée et méchante, ne supportant plus sa beauté déclinante et brisant tous les miroirs du château, qui mal entretenu puis laissé à l’abandon, redevint tout de travers.
FIN
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