Chapitre 1 – Mauvais départ
Il y a bien longtemps de cela, en des temps très anciens et dans une monarchie située sur l’île de Grenadine, gouvernait un roi connu pour sa grande intelligence. Il s’appelait Salomontil le Sage et était l’heureux époux de Bertille la Bienheureuse.
Fait rare pour l’époque, la reine Bertille la Bienheureuse avait mis au monde des sextuplés dizygotes qui avaient tous survécu. Mais alors que le roi Salomontil le Sage, qui ce jour-là patientait dans l’antichambre et espérait un garçon premier né qui deviendrait l’héritier de son royaume, s’étonna et se réjouit de cet accouchement précoce et en surnombre, car de mémoire, il n’avait jamais entendu parler de naissance de sextuplés.
Et ce fut donc dans l’urgence et par ordre de présentation, que le roi avait prénommé ses nourrissons. Ainsi, ce furent d’abord trois garçons qui montrèrent leurs petites frimousses. Le premier à être présenté à son royal et heureux papa, fut son fils ainé, celui qui accéderait au trône, et qui malgré sa naissance prématurée, était de constitution robuste et d’assez belle taille. D’emblée, ce fils évoqua donc au roi comblé, le héros légendaire de Troie et il le baptisa Achille. Peu après, Salomontil le Sage vit un deuxième bébé s’en venir vers lui. Dans les bras d’une petite servante sautillante et rigolarde, ce second poupon au visage doux dormait paisiblement. De fait, en concordance avec Bazil qui signifiait « Généreux » en langue arabe, le roi l’appela Basile et en fut très content. Le troisième quant à lui, replié contre la poitrine large d’une servante aux joues rouges, fut prénommé Virgile, car il avait de belles et de grandes mains d’artiste » … et j’espère une âme de poète… » avait songé son père en souriant.
Mais pas le temps de s’extasier sur ses trois progénitures que cinq minutes plus tard, sous ses yeux éberlués, Salomontil le Sage vit entrer une quatrième servante au lumineux sourire, portant son quatrième bébé. Cette fois-ci, il s’agissait d’une fille aux longs cils épais et recourbés, que spontanément, le roi nomma Lucille.
Salomontil le Sage était à la fois chamboulé et enchanté par cette quadruple naissance. Il s’estima béni et fort chanceux, et tandis qu’il se tapait sur les cuisses en gloussant de bonheur de les voir tous en pleine santé, un cinquième nouveau-né fit son apparition dans les bras d’une servante au nez pincé et au long cou. Stupéfait, mais néanmoins ravi, le roi tomba aussitôt sous le charme de cette jolie poupée aux prunelles d’un bleu profond qui le fixait droit dans les yeux, puis se dit qu’avec un tel regard, cette petite demoiselle deviendrait assurément sage et réfléchie, tout comme lui. Ainsi, il la compara à une prophétesse et l’appela Sybille.
Face à ses cinq descendants, fier comme un paon et le torse bombé, le roi se mit à rire à gorge pleine, puis babilla avec chacun d’eux avant qu’ils ne retournent à la pouponnière. Et alors qu’un long moment s’écoula sans que la porte de l’antichambre ne s’ouvre plus, Salomontil le Sage estima que le compte était bon. Cependant, le lourd battant s’ouvrit de nouveau et un sixième bébé pointa le bout de son nez. Et celui-là, maladroitement porté par un domestique appelé en renfort, par manque de servante disponible, pleurait très fort en serrant ses petits poings.
— C’est… c’est… c’est une fi… fille… l’informa le jeune homme, qui novice et empoté en matière de nourrisson, se libéra rapidement de la petite pleurnicharde en la jetant quasiment dans les bras de son père. Puis, soulagé de ce petit paquet braillard, il regagna ses quartiers d’un pas rapide. Guère plus habile, le roi se retrouva fort embarrassé. Gauche et très nerveux, il essaya de calmer son geignard de bébé en le berçant, mais il sanglotait et hoquetait tellement qu’il finit par s’écrier :
— Mais quelle râleuse !
Pressé de retrouver son calme, Salomontil le Sage fit donc appeler son secrétaire et lui demanda de se hâter d’inscrire les prénoms de ses cinq progénitures sur le registre officiel. Assis sur un petit bureau, le scribe bossu aux longs doigts crochus s’exécuta et consigna selon les instructions du roi, le prénom des cinq premiers nés, ainsi que l’heure de leur naissance, puis il nota en parallèle les particularités de chacun d’eux. Une fois fait, il attendit d’en faire de même pour la petite dernière, mais exaspéré par les pleurs de ce bébé remuant, Salomontil le Sage souffla la première chose qui lui vint à l’esprit :
— Celle-ci s’a… s’a… s’appellera… Râleuse…
Ainsi, alors que le roi avait associé un prénom à une caractéristique positive et particulière pour ses cinq autres enfants, la benjamine fut estampillée… Râleuse. Et c’est avec une belle écriture faite de liés et de déliés, que le secrétaire royal écrivit : » En ce jour de grâce, à quatre-heures deux, vint au monde Râleuse 1ère du nom, fille de Salomontil le Sage et de Bertille la Bienheureuse. »
Chapitre 2 – Une princesse râleuse est une princesse ennuyeuse…
Pauvre Râleuse… Avec un tel prénom, son entrée dans la vie ne démarrait pas sous les meilleurs auspices… Et cependant que la fratrie princière se développait avec harmonie, et que ses frères et sœurs s’accordaient parfaitement à leurs prénoms respectifs et adroitement choisis par leur papa, Râleuse était grogneuse en barboteuse, capricieuse en vareuse, et pleurnicheuse à l’heure de la berceuse.
Au château, tout le monde avait beau s’escrimer pour lui faire plaisir, la fillette n’était jamais contente ni satisfaite. Et alors qu’elle croissait en taille et accroissait ses facultés intellectuelles, son caractère ne s’améliorait pas. Au contraire ! Envieuse et en colère d’avoir été lésée dès sa naissance, la benjamine ne cessait de ruminer et de grogner : :
— Je suis la moins aimée des sextuplés… répétait-elle comme une rengaine, à qui voulait l’entendre. Je suis la moins aimée des sextuplés…
Toute son enfance et toute son adolescence, Râleuse se plaignit de son sort et se comporta comme une demoiselle capricieuse et jalouse. Et quelles que furent les circonstances, elle considérait qu’Achille, Basile, Virgile, Lucille et Sybille, étaient bien plus chanceux qu’elle. Ainsi, à tort ou à raison, elle passa son temps à se comparer à eux, estimant qu’ils étaient bien plus gâtés qu’elle et qu’ils recevaient davantage d’attentions de la part du roi et de la reine, leurs parents.
Et ce qui devait arriver, arriva. À force de ressasser l’injustice dans son cœur, la princesse développa un esprit négatif, ainsi qu’une jalousie chronique.
— Personne ne m’aime ! râlait-elle à chaque oreille bienveillante qu’elle pouvait accrocher.
— Personne ne veut jouer avec moi ! grognait-elle en faisant les cents pas dans le somptueux parc du château.
— Personne ne s’intéresse à moi ! ronchonnait-elle dans les longs couloirs ornés de magnifiques tableaux de maîtres.
Lassés par les sempiternelles lamentations de Râleuse, les gens fuyaient effectivement sa compagnie. Et même si ses complaintes se modifiaient selon les périodes, les saisons et les heures, peu de personnes supportait l’agaçante princesse et beaucoup l’évitait. Par voie de conséquence, cet isolement alimenta et augmenta son sentiment de rejet.
— Tout le monde m’en veut ! s’énervait-elle.
— Tout le monde m’ignore ! s’emportait-elle.
— Tout le monde me hait ! assurait-elle.
Râleuse s’apitoyait tellement sur son sort, que non seulement ses proches, mais la plupart des gens du château, l’esquivaient, car pour peu qu’une âme charitable accepte de l’écouter et lui tenir compagnie, elle en profitait pour se plaindre et critiquer à tour de bras. Quant à ses pauvres gouvernantes, excédées par ses incessantes jérémiades du lever du lit jusqu’à son coucher, toutes finissaient par rendre leur tablier.
— Mes frères et sœurs réussissent mieux que moi… disait-elle en boucle, chaque matin.
— Mes frères et sœurs sont bien plus doués que moi… rabâchait-elle tous les midis.
— Mes frères et sœurs sont la fierté du roi, mon père… grommelait-elle avant de s’endormir.
Non-contente de n’être jamais contente, Râleuse s’insurgeait, revendiquait et accusait avec une langue de vipère, tant et si bien qu’à son contact prolongé, les personnes qui faisaient l’effort de rester avec elle, finissaient par être contaminées par ses paroles négatives, accusatrices et soupçonneuses, et par sa funeste et fausse vision du monde. Dès lors, au vu de l’état de leur cœur, ces bonnes âmes jetaient l’éponge et s’éloignaient de sa mauvaise influence.
Chapitre 3 – Par le petit bout de la lorgnette
Quelle râleuse cette Râleuse ! Le roi et la reine, ses parents, avaient beau lui jurer avoir autant d’amour pour elle que pour leurs cinq autres enfants, Râleuse n’en croyait pas un traître mot.
— Je n’ai pas été désirée ! répliquait-elle à son père. La preuve, c’est un domestique pleutre et incompétent qui m’a conduite à vous, alors que vous ne m’attendiez plus. C’est d’ailleurs pour cela que mon prénom n’en est pas un ! Vous ne vouliez pas de moi, parce que j’étais en trop, et que je semblais pas aussi intelligente ni aussi jolie que vous l’auriez souhaité !
À cela, son père ne pouvait que répondre par la négation et lui expliquer pour la centième fois, que son arrivée l’avait effectivement décontenancé, mais qu’il en avait toutefois été fort aise. Quant à son prénom, il disait regretter qu’elle en fût aussi blessée, mais Râleuse lui en voulait terriblement. Pour sa défense, le roi n’avait de cesse de lui dire, que dépassé par l’événement au moment de l’inscription sur le registre, son émotion avait pris le dessus et que la chose s’était malheureusement, ainsi faite. En sus, lui et son épouse prenaient soin de rassurer leur fille en lui affirmant qu’ils l’aimaient autant que les autres. Hélas, tous ces mots n’atteignaient pas le cœur amer de Râleuse qui restait convaincue d’être le vilain petit canard de la famille et s’en plaignait à ses gouvernantes successives :
— Je suis délaissée ! déclarait-elle. Je suis la cinquième roue du carrosse !
Chacune de ses gouvernantes avait beau lui répéter qu’elle serait très appréciée, si elle n’était pas aussi grincheuse et faisait un peu d’effort, Râleuse n’y croyait pas le moins du monde. De même, ses frères et sœurs avaient beau l’encourager, lui assurer qu’elle était talentueuse et qu’ils l’aimaient tous, elle haussait des épaules de mépris et soufflait de dépit. Emprisonnée dans ses fausses croyances, tous avaient beau la rassurer sur sa valeur pour qu’elle ouvre ENFIN les yeux et change son point de vue, mais rien n’y faisait. Râleuse ne faisait que fulminer et rabâcher :
— Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! On me laisse pousser toute seule, comme une herbe folle, sans m’accorder d’attentions ni se soucier de moi !
Le temps passant, Râleuse devint encore plus médisante, plaintive et renfrognée. Mais alors qu’elle était plutôt jolie, son visage renfermé la rendait austère et dissimulait sa beauté. De la sorte, à presque dix-sept ans, c’était une princesse morne, terne et terriblement aigrie, dont l’humeur maussade repoussait la plupart, pour ne pas dire… tous.
Chapitre 4 – Myopie du cœur
Au château, le pessimisme de Râleuse déteignait de plus en plus sur les autres. L’intelligence obscurcie et le cœur tortueux, la princesse semait la méchanceté partout où elle passait, et du matin au soir, elle critiquait à tour de bras, puis générait de la zizanie entre les gens. Elle ne se privait d’ailleurs pas de le faire avec ses frères et sœurs qu’elle montait les uns contre les autres, et qui lassés de ces insupportables querelles, menaçaient de plier bagage et faire leur vie ailleurs. Même Achille, son frère ainé, dauphin et prétendant au trône, disait vouloir changer d’air à cause de cette ambiance nauséabonde.
Selon Salomontil le sage qui avait tant lutté pour la paix, la situation devenait très inquiétante. Il s’imagina que la rancœur de Râleuse pourrait la conduire à épouser un prince étranger, pour le seul plaisir de leur déclarer la guerre et se venger. Tourmenté à ce sujet, très affecté par la sinistrose de sa benjamine qu’il aimait profondément et malgré elle, et de plus, terriblement peiné de voir son épouse dépérir, parce que leur fille passait son temps à diviser la famille, ainsi que les gens du royaume, le roi était en devoir de vite trouver une solution avant que tout ne se délite autour de lui. Il en fit donc sa priorité numéro un. Et un matin, tandis qu’il réfléchissait et faisait des allers-retours dans son bureau, les mains dans le dos, Salomontil le sage se mit à parler tout seul.
— Les pensées de ma fille sont sans fondement, murmurait-il. Ses raisonnements sont erronés et totalement absurdes, mais que puis-je faire pour la sortir de ce trou noir et l’aider à changer ses pensées ? Hum… Peut-être, lui faudrait-il une bonne leçon pour qu’elle arrive à distinguer le vrai du faux, pour qu’elle voit le bon côté des choses au lieu de se focaliser sur le mauvais, pour qu’elle réalise enfin que c’est son attitude que personne n’aime, et non pas elle…
Poursuivant sa réflexion, le roi connu pour sa grande sagesse admit que c’était de sa responsabilité d’agir sans tarder, afin que Râleuse prenne conscience de ses privilèges, convertisse son cœur et cesse de regarder par le bout d’une lorgnette déformée.
— Euréka, mais c’est bien sûr ! s’exclama-t-il en levant les bras en l’air. Lorgnette ! Bésicles ! Avec l’aide du docteur Bésicles, je vais peut-être pouvoir la faire changer de vision !
Le docteur Bésicles était le médecin attitré de la famille royale. Salomontil le Sage le fit donc venir prestement, et à l’abri de toutes oreilles indiscrètes, il partagea son plan avec celui qui connaissait Râleuse depuis ses tous premiers langes, et l’avait entendu maintes et maintes fois se plaindre à lui de son pauvre destin. Exactement comme les autres, le bon médecin de famille ne comprenait pas pourquoi celle qui avait tout pour être heureuse, se gâchait ainsi la vie. C’est pourquoi, dûment informé de la stratégie et de la proposition du roi, le docteur Bésicles l’assura de son aide. Puis, tel que demandé, il promit que personne d’autre dans le palais n’aurait connaissance du scénario échafaudé.
C’est donc à la visite annuelle des dix-sept ans des sextuplés que l’avisé docteur Bésicles démarra la mise en scène. Tour-à-tour, les princes et les princesses furent examinés, interrogés et ventousés si besoin s’en trouvait. Puis, arriva le tour de Râleuse qui s’apitoya ENCORE et TOUJOURS sur son triste sort. Cependant, ne l’écoutant que d’une oreille, le docteur Bésicles montrait un visage concentré et l’ausculta en grommelant des « Hum… Hum… » à répétition. Cela finit par intriguer Râleuse qui stoppa ses doléances et demanda :
— Qui y-a-t-il, docteur ? Que signifie cet air soucieux ? Aurais-je quelque chose ?
— Hum… Hum… continua le médecin, une main posée sur le front de Râleuse. C’est bien ce que je pensais.
— Quoi ? C’est quoi ? s’inquiéta la jeune fille. À quoi pensez-vous ?
— Eh bien… hésita le bon docteur. En vérité… c’est inquiétant… Je dirais même que c’est grave…
— Grave ? Mais grave comment ? Qu’ai-je donc ?
— Eh bien, j’ai le regret de vous dire que vous souffrez d’une Geigninognite congénitale aggravée et déclarée.
— Quoi ? Mais qu’est-ce donc que cela ?
— C’est très sérieux !
— Sérieux à quel point ? Serait-ce la mort qui m’attend ?
Prenant un air désolé, le docteur Bésicles avait hoché de la tête et Râleuse avait blêmi. D’une petite voix, elle s’était enquise du temps lui restant encore à vivre.
— Oh, peu de temps en vérité… avait soupiré le médecin. Peu de temps… hélàs…
— Mais… mais n’y-a-t-il plus rien à faire ? questionna la princesse en tremblant. N’y a-t-il point de remède ?
— Hélas non… avait-il renseigné à voix basse en haussant les épaules. Il n’y en a guère qu’un seul et c’est sans certitude aucune. Rien ne nous garantit la guérison, mais enfin…
— Je ferai tout ce qu’il faudra docteur Bésicles ! Tout, je vous l’assure !
— Bien ! Très bien ! Tout d’abord, il vous faudra garder le lit et n’en point bouger, même pour vos besoins naturels et vos ablutions quotidiennes. Des vases vous seront portés pour vous soulager et pour vous nettoyer.
— Ah ? Et combien de jours cela va-t-il durer ?
— De semaines voulez-vous dire !
Râleuse fit la moue, puis elle se ravisa.
— Bien ! Fort bien ! Mais encore, que me faudra-t-il faire ?
— Il vous faudra absolument garder votre calme ! insista le médecin. Aucune irritation ni aucune agitation ne seront tolérées. Ceci est essentiel pour espérer une rémission, voire même une guérison.
— Garder mon calme. Bien, fort bien. Mais encore ?
— Pour le moment, ce sera tout. S’agissant de la suite, je vous en aviserai selon que l’affection évoluera en mieux ou… bien en pire.
— Bien… Merci docteur Bésicles, répondit Râleuse en essuyant ses yeux dans un carré de soie.
Chapitre 5 – Repos forcé
À partir de l’annonce de sa maladie, Râleuse suivit scrupuleusement les conseils du docteur Bésicles et ne bougea plus de sa couche. Déterminée et sans autre choix, elle lutta durant les longues heures d’alitement obligatoires pour ne pas s’énerver et accepter sa pauvre condition. Cela n’était pas chose aisée pour celle qui, depuis sa première respiration, n’avait jamais eu le cœur en paix. La bataille était féroce. Allongée dans son lit, Râleuse combattait les mille pensées nocives qui occupaient sa cervelle et ne voulaient pas en déloger.
— Pourquoi, personne ne vient me voir ? rageait-elle en chassant aussitôt l’agacement.
— Pourquoi, personne ne se soucie de moi ? bougonnait-elle en rejetant illico la rancœur.
Chaque semaine, le docteur Bésicles revenait voir sa malade et l’instruisait sur son état. À la première visite, Râleuse n’avait pu se retenir.
— Voyez vous-même, docteur Bésicles… avait-elle sangloté. Si peu de gens s’inquiètent de ma santé et se rendent à mon chevet… C’est on ne peut plus clair. Personne ne m’aime et puis voilà… Oh, comme je suis malheureuse… Si malheureuse…
— Hum… Hum… s’était contenté de répondre le médecin, l’air grave et les sourcils froncés. Chère princesse, je ne vois là aucune amélioration de votre maladie. Avez-vous bien conservé le lit ainsi que votre calme, tel que cela fut prescrit ?
— J’ai essayé docteur… reniflait Râleuse en se mouchant. J’ai essayé… J’ai tâché de faire du mieux possible… seulement me voilà bien éprouvée. J’ai une santé si peu enviable et pourtant, voyez on me délaisse et combien on me néglige… Comprenez, docteur Bésicles. Comprenez que, forcément, cela génère en moi de la colère qu’il m’est difficile… très difficile de réprimer.
— Hum… Hum… De la colère, dites-vous ?
— Eh bien, oui ! La colère n’est-elle pas une réaction normale, lorsqu’on est à l’article de la mort et que le monde entier se désintéresse de votre pauvre état ? !!
— Hum… Hum… J’entends vos arguments chère enfant, mais malheureusement le temps est contre nous. Il n’est plus temps de récriminer les autres et de rejeter la faute sur eux… Il vous faut de toute urgence, anéantir ces sentiments nocifs qui vous empoisonnent et vous tuent à petit feu. Il faut vous battre et remporter la victoire sur cette terrible maladie…
— Docteur… c’est tellement dur… Je crains de ne pouvoir y arriver…
— Allons ! Allons ! Vous n’allez tout de même pas baisser les bras ! Tout reste encore possible si vous gardez à l’esprit que VOTRE guérison dépend de VOTRE SEULE volonté !
Avant de partir, le médecin encouragea Râleuse à poursuivre ses efforts, puis l’informa qu’il reviendrait dans une huitaine et qu’en attendant, elle devrait manger une soupe à chaque repas. Seule dans sa chambre et face à elle-même, la demoiselle comprit qu’il lui faudrait rapidement penser autrement que mal… et cela, afin d’obtenir et de maintenir un cœur en paix.
Penser était de toute façon sa principale et quasiment… seule activité, puisqu’à l’exception du roi et de la reine, ses parents, qui venaient la saluer de temps à autre sans jamais s’éterniser, de ses frères et sœurs qui, à l’occasion, passaient la voir en coup de vent, et de la femme de chambre qui s’occupait de ses vases de propreté, puis vidait les pots dans laquelle elle vomissait à cause de l’herbe inoffensive, mais émétique que le docteur faisait rajouter aux cuisinières dans ses soupes, afin de créer des symptômes de sa pseudo-maladie et l’inquiéter davantage, Râleuse qui ne recevait pas d’autres visites, avait fort peu d’occupations, hormis quelques lectures. S’ennuyant ferme, elle avait donc tout le temps de se tourmenter et de réfléchir.
Chapitre 6 – La paille dans l’œil du voisin
Pour Râleuse, une nouvelle semaine s’étira en luttes et en repos jusqu’à la venue du docteur Bésicles.
— Alors ? questionna le médecin installé près de son lit. Où en est donc votre colère ? L’avez-vous enfin bannie ?
— Presque… soupira la princesse.
— Presque ?
— Oui, presque docteur Bésicles, répondit-elle avec une moue de dépit. Il n’est point facile de ne pas s’irriter, mais j’y travaille… J’y travaille dur.
— Vous y travaillez ? Mais comment donc ?
— Eh bien, voyez-vous… contrainte de demeurer calme selon vos prescriptions, j’ai longuement réfléchi, puis pensé que peut-être… Non, que sans doute, j’étais peut-être… sans doute… responsable de ce malheur qui m’arrive.
Bien que surpris par cette réponse, le docteur Bésicles resta placide et demanda :
— Responsable, dites-vous ?
— Oui… Par mes apitoiements et par mes larmoiements, je crois bien qu’aujourd’hui, je récolte les fruits amers de l’isolement.
— Les fruits amers, dites-vous ?
— Oui… Voyez-vous, j’ai longtemps accusé les autres d’être à l’origine de mes manques. Je leur ai souvent reproché d’être la cause de mes nombreuses infortunes, toutefois il m’est avis que… peut-être… Que peut-être ceci n’était pas tout à fait juste ni tout à fait… exact, et que, possiblement…. c’est moi et moi seule qui me suis créé mon propre malheur… Qu’en dites-vous, docteur Bésicles ?
— Vous seule… Mais comment donc ?
— Eh bien, en y songeant… aucune de mes relations ne fut jamais vraiment saine et heureuse. Amicalement, affectivement ou fraternellement, toutes furent houleuses, compliquées et très souvent stériles… Et de cela, je pense… j’en suis la seule blâmable.
— Hum… Hum… Mais encore ?
— Même avec le roi et la reine, mes parents, j’ai altéré la relation. Par mes sempiternelles complaintes et mes nombreux reproches, j’ai creusé un fossé d’incompréhension entre eux et moi. J’ai pointé le doigt vers eux sans voir à toutes mes fautes. C’est pourquoi, je pense… Non, c’est pourquoi j’admets être responsable de n’avoir aucun ami à qui confier ma peine, d’être sans un proche avec qui partager mes angoisses, de n’avoir ni paix ni joies intérieures. Oui… si je souffre aujourd’hui, docteurs Bésicles, c’est surtout d’avoir gaspillé mon temps, mes bienfaits et l’amour des miens, que j’ai très certainement nié… et refusé par vanité.
— Hum… Hum… Responsable, dites-vous ?
— Côtoyer une personne aussi irascible et négative que moi, doit être… insupportable. Je reconnais que certainement, je suis de bien mauvaise compagnie… Ne pensez-vous pas, docteur Bésicles ?
Le médecin aurait bien aimé dire ses quatre vérités à cette capricieuse exaspérante et lui dire qu’elle payait l’addition de ses comportements, mais il s’en garda bien. Tenu de se taire, il éluda la question, se racla la gorge plusieurs fois et dodelina de la tête.
— Je me rends compte que j’étais une tueuse de joie, poursuivit Râleuse en pleurant. J’ai été une briseuse de paix et une semeuse de troubles. Cela me rend triste, car si aujourd’hui je suis abandonnée de presque tous, c’est entièrement de ma faute. Après tout, je n’ai que ce que je mérite…
— Ah non ! s’insurgea le médecin. Vous n’allez pas encore vous lamenter ! Vouloir c’est pouvoir et désirer c’est décider !
— Vous avez raison… mais comment faire, docteur Bésicles ? Comment ? Aidez-moi, je vous prie. Je ne veux pas mourir…
— Je ne le peux ! C’est à vous que revient la décision de guérir et d’agir en conséquence, pas à moi ! Ceci est en dehors de mes compétences médicales. Moi, je ne peux que vous encourager à prolonger vos efforts et vous engagez à ne plus vous considérer comme une victime, mais comme une conquérante. Et j’ajouterai comme une JOYEUSE CONQUÉRANTE !
— Ça parait simple et… en même temps, cela me semble si compliqué. Si je n’y parviens pas, que se passera-t-il ? Que va-t-il m’arriver, docteur Bésicles ?
— Si vous échouez, je ne pourrai plus rien faire pour vous sauver, soupira le médecin. Et c’est à contrecœur, hélas, que je vous regarderai vous affaiblir et dépérir. C’est à contrecœur que je tenterai d’alléger vos douleurs avant l’inéluctable.
— Mes douleurs ? Mais comment donc ? Vais-je m’éteindre dans d’horribles souffrances ?
— Je ne saurais le dire avec certitude, votre cas est si rare. Mais enfin… cela reste envisageable. C’est une chose à ne pas négliger afin de mieux s’y préparer.
— Ah ça non ! s’emporta Râleuse.
— Calmez-vous, chère enfant… Calmez-vous donc… Vous aggravez votre cas en vous irritant de la sorte.
— Me calmer, alors que m’attendent de terribles souffrances ?
— Pas d’affolement, voyons. Rien n’est encore perdu. Enfin… à condition d’y mettre du vôtre. Sans cela, NUL MIRACLE ! Allez, à dans huit jours !
— C’est ça… Bien le bonsoir docteur Binocles, marmonna Râleuse en tordant son nez.
Chapitre 7 – Arsenic et vieux binocles
Durant la semaine qui suivit, Râleuse s’interrogea :
— Et si j’arrêtais de voir le mal partout et que j’appréciais les choses qui s’offrent à moi, humblement… naturellement ? Est-ce que cela participerait à mon mieux-être ? Et si je posais un regard d’amour sur autrui au lieu de pointer le doigt sur ce qu’il a de différent ou de plus que moi ? Est-ce que cela améliorerait ma santé et participerait à mon rétablissement ? Oh, comme j’aimerais avoir un cœur doux simple… Oh, comme j’aimerais savoir me contenter de ce que la vie me donne et accepter ce que je n’ai pas… Oh, comme j’aimerais ne plus être une ingrate et reconnaître ma chance et tous mes privilèges de princesse… Oh, si seulement, je pouvais changer de lunettes… voir les choses autrement… nettoyer mes pensées… Me voilà bien éprouvée d’être ainsi…
À la consultation du docteur Bésicles, Râleuse lui expliqua ses souhaits et lui fit part de ses tourments. Elle lui confia sa tristesse de ne jamais se sentir comblée et de ne jamais être sereine.
— La colère semble vous avoir quittée, chère enfant, seulement la tristesse qui vous accable ne prévaut rien de bon… Non, rien de bon…
— N’y a-t-il aucune évolution, docteur Bésicles ?
— Eh bien, disons que je perçois un léger mieux, mais cela reste fragile… Très fragile et encore très incertain. Il est préférable d’attendre avant de se prononcer.
— C’est dur… Si dur… J’ai l’impression d’être ainsi faite, qu’une déception chassée m’en ramène une autre, et puis encore une autre…. J’ai l’impression de me battre sans fin… Je m’épuise et je crains de ne pouvoir y arriver.
— Ne déposez pas les armes, chère enfant. Rien n’est encore perdu, même si le temps est compté !
— Merci pour vos encouragements, docteur Bésicles… Je vais me battre… et espérer.
— Merci ? Vous venez de me remercier ?
— Oui, qu’y a-t-il d’étonnant à cela ?
— Chère enfant, il me semble que ni moi ni personne n’a jamais entendu le moindre » Merci » sortir de votre bouche.
— C’est pourtant vrai, confirma Râleuse en souriant.
— Cela est excellent ! C’est très bon signe !
Ravie de cette nouvelle, Râleuse s’applaudit timidement.
— Au fait, j’ai une surprise pour vous ! l’informa le médecin. Un de vos frères patiente derrière la porte. Il a souhaité vous tenir compagnie et veut s’entretenir avec vous.
Le visage de Râleuse s’éclaira.
— C’est bien. C’est très bien. Qu’il entre !
— Parfait. Je vais donc vous laisser passer un moment ensemble et m’en retournerai vous voir demain. À plus tard, chère enfant.
Le docteur Bésicles parti, c’est Achille, l’aîné des sextuplés qui entra dans la chambre et s’avança à pas feutrés vers le lit de la malade. Il n’était pas encore à sa hauteur, qu’avec un sourire radieux, Râleuse s’exclama :
— Achille ! Comme je suis contente de te voir !
Guère habitué à un accueil aussi chaleureux de la part de sa sœur, le jeune homme fit des yeux ronds et la regarda d’un drôle d’air.
— Ne sois pas surpris, Achille. Il est bon que tu sois là, car je reconnais avoir été une sœur odieuse, assommante et extrêmement pénible. Je comprends que tu aies préféré fuir mes critiques et m’abandonner à mes plaintes. Je reconnais que je n’ai pas su me rendre aimable ni essayé de t’aimer et de te comprendre.
— Oui ma sœur. Il est certain que jamais tu n’es venue vers nous pour dialoguer et apprendre à nous connaître ! rétorqua Achille sur un ton sec et peu courtois.
— Ah ? Mais n’ai-je pas parlé avec vous, de temps à autre ?
— Si, mais cela n’avait rien à voir avec des discussions ! Ce n’étaient que de longs monologues plaintifs, sans échange ni écoute ! Un dialogue est un échange équilibré ! C’est parler à l’autre, mais aussi savoir l’entendre. Avoir un dialogue ce n’est pas utiliser son interlocuteur comme un déversoir à colères et à rancœurs. Si nous tes frères, venions pour te parler, tu ne savais que nous reprocher d’avoir été plus gâtés et plus favorisés que toi. Et si par fatigue, nous te laissions seule et nous désintéressions de toi, tu nous accusais d’être des égoïstes et des indifférents.
— J’ai cru aux mensonges dans ma tête, déplora Râleuse. Toutes ces années, ils m’ont empoisonné l’existence et grignoté la cervelle. Vois-tu, aujourd’hui je risque d’en mourir et je le regrette amèrement. Pourras-tu me pardonner ?
— Bien sûr que je le peux, répondit Achille en serrant sa sœur dans ses bras.
Après la réconciliation, Achille voulut montrer ses erreurs à Râleuse. Une fois n’est pas coutume, elle eut plaisir à l’écouter sans lui prêter de méchantes intentions, sans le voir comme un ennemi et sans le jalouser.
Pour la première fois depuis dix-sept ans, Achille expliqua à sa sœur que la réalité est souvent très éloignée de ce que l’on pense. Il lui avoua que d’être grand et fort comme il l’était, n’avaient pas que des avantages. La majorité du temps, les autres ne l’appréciait que pour sa puissance et pour sa musculature en négligeant sa sensibilité. Les yeux brillants, il admit en souffrir et ajouta ne l’avoir jamais confié à personne.
Comprenant ses erreurs, Râleuse murmura :
— Excuse-moi d’avoir jugé aux apparences et de t’avoir si souvent maudit et détesté.
À la suite d’Achille, les cinq frères et sœurs de Râleuse poussèrent sa porte à tour de rôle et se présentèrent à son chevet. Les uns après les autres, elle les reçut par un fougueux :
— Comme je suis contente de te voir !
Un accueil aussi aimable de la part de Râleuse, les avait tous déroutés.
— Ne sois pas surpris, Basile. Il est bon que tu sois là, car je reconnais avoir été une sœur odieuse, assommante et extrêmement pénible. Je comprends que tu aies préféré fuir mes critiques et m’abandonner à mes plaintes. Je reconnais que je n’ai pas su me rendre aimable ni essayé de t’aimer et de te comprendre.
Tel qu’Achille l’avait fait, Basile informa Râleuse qu’elle s’était trompée sur son compte et que, d’être généreux n’était pas toujours une aubaine. Il expliqua que certaines personnes avaient profité de ses largesses et l’avait dépouillé sans scrupule. Puis, il confia à sa sœur qu’il en avait le cœur brisé mais n’en avait jamais rien dit à personne.
Reconnaissant ses torts, Râleuse réitéra ses excuses et enlaça son frère.
Virgile fut le prochain à pénétrer dans la pièce. Prestement salué par Râleuse, après quelques échanges réconciliateurs, tout comme ses deux autres frères, le jeune homme avisa sa sœur que d’être un artiste n’était pas aussi formidable qu’elle pouvait l’imaginer. Il lui expliqua que les œuvres artistiques étaient souvent parodiées et quelquefois… dénigrées. Puis, il lui confia combien il était triste et blessé que beaucoup l’appelle » saltimbanque « , mais qu’en dépit de l’incompréhension et du mépris, il poursuivait sa passion.
Après le pardon fait à Virgile, c’est Lucille qui s’avança dans la chambre à petits pas nerveux. Après le bon accueil de Râleuse, la demoiselle se détendit et apprit à sa sœur que la beauté n’était pas sans inconvénients. Elle lui expliqua que son physique avantageux était source d’envies et de convoitises parfois… malséantes. Puis, la larme à l’œil, elle avoua que la plupart de ses amies la jalousaient et que les garçons la considéraient comme un trophée à remporter. Pour finir, elle révéla à sa sœur qu’elle était devenue méfiante avec son cercle d’amis, mais qu’elle gardait cette douleur au fond d’elle.
Les deux filles tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Après le départ de Lucille, c’est Sybille qui prit la suite. Et de la même manière que ses frères et sœurs, elle aussi se confia à Râleuse. Elle lui apprit que de discerner les intentions derrière les paroles ; que de savoir interpréter les pensées et deviner les actions à l’avance, pouvaient s’avérer très ennuyeux et très inconfortable. Elle lui confia que bien souvent, elle s’était trouvée dans des situations angoissantes, révoltantes ou délicates, et conclut ses aveux en disant :
— Cela, je ne l’ai jamais révélé à personne…
Les visites terminées, Râleuse médita sur sa couche.
» Ainsi donc, se dit-elle. Me voilà la seule à qui ils tous ont ouvert leurs cœurs… Quelle belle preuve de confiance envers moi qui n’ai su que les juger… «
Chapitre 8 – L’intelligence au service de l’amour
Au grand étonnement de Râleuse, la reine Bertille la Bienheureuse, sa mère, vint ce même jour, s’asseoir et converser avec elle. En tapotant sa main qu’elle serrait entre les siennes, sa mère lui dit sa fierté d’avoir une fille avec une telle sagesse et lui redit sa tendresse. Cette fois-ci, alors que d’ordinaire elle rejetait les gestes d’affection et tous les mots d’amour, Râleuse accueillit joyeusement les compliments et les mots d’amour, puis se laissa caresser. Encouragée par l’attitude de sa fille, la reine l’enseigna :
— Sache ma chère fille, que ta vie durant, tu seras la seule à pouvoir protéger ton cœur des faussetés et des saletés. La seule en capacité d’avoir un regard aimant et aimable sur ton environnement, sur les situations et aussi sur ton prochain.
Après ces quelques conseils, la reine Bertille la Bienheureuse, sa mère, céda la place au roi Salomontil le Sage, son père.
— Tu es si intelligente, lui dit-il. Tu es même la plus intelligente de mes six enfants. Seulement, tu as enfermé tes talents derrière des murailles de jérémiades et emprisonné sous des monticules d’amertumes. Pendant dix-sept longues années, bientôt dix-huit, tu as gaspillé ton temps, ton énergie et tes dons en plaintes répétitives.
— Tu as parfaitement raison…
— Tiens, je vais te raconter une petite histoire qui devrait, j’en suis certain, te faire t’interroger :
» Il était une fois un vieil homme assis à l’entrée d’une ville du Moyen-Orient. Un jeune homme s’approcha de lui et demanda :
— Je ne suis jamais venu ici. Comment sont les gens qui vivent dans cette ville ?
Le vieil homme lui répondit par une question :
— Comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ?
— Égoïstes et méchants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’étais bien content de partir, dit le jeune homme.
Le vieillard répondit :
— Ici, tu trouveras les mêmes gens.
Un peu plus tard, un autre jeune homme s’approcha du vieil homme et lui posa la même question :
— Je viens d’arriver dans la région. Comment sont les gens qui vivent dans cette ville ?
Le vieil homme répondit de même :
— Dis-moi, mon garçon, comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ?
— Ils étaient bons, accueillant et honnêtes. J’y avais de bons amis et j’ai eu beaucoup de mal à la quitter, répondit le jeune homme.
— Tu trouveras les mêmes ici, répondit le vieil homme.
Un marchand qui faisait boire ses chameaux non loin de là avait entendu les deux conversations. Dès que le deuxième jeune homme se fut éloigné, il s’adressa au vieillard sur un ton de reproche :
— Comment peux-tu donner deux réponses complètement différentes à la même question posée par deux personnes ?
Le vieil homme lui répondit :
— Celui qui ouvre son cœur change aussi son regard sur les autres. Chacun porte son univers dans son cœur. «
(Anonyme)
— Râleuse, ma fille chérie, ma benjamine, ajouta le roi son père. Toi que j’aime exactement comme tes cinq frères et sœurs. Tant que tu n’avais pas essuyé le verre encrassé du bout de ta lorgnette et que tu ne t’étais pas décentrée de ton petit nombril, tu étais en incapacité de discerner le vrai du faux, d’apprécier tes faveurs et de voir le meilleur en toi, mais aussi en chacun. Par chance, ton œil ne voit plus faussement et ta vision des choses m’apparait comme plus juste. Attention, toutefois. Ton changement d’attitude est une aubaine, mais désormais, il te faudra veiller sur l’état de ton cœur et te protéger de toutes pensées trompeuses et négatives.
— Oui, père.
— Allez, il est temps pour moi de m’en aller et te laisser méditer sur cela.
— Bien, père.
Chapitre 9 – épilogue
Le lendemain, de retour dans la chambre de Râleuse, le docteur Bésicles constata qu’elle était paisible et d’excellente humeur. Cependant, il ne prononça pas le mot de » Guérison « , craignant que s’estimant tirée d’affaire, la jeune fille ne relâche ses efforts et ne redevienne une peste doublée d’une vipère à la langue pendue et trop fourchue. Il préféra lui parler de rémission. Puis, similairement au roi, il l’engagea à se préserver des mauvais sentiments et lui recommanda de patienter quelques jours supplémentaires avant de sortir de sa couche et reprendre une vie normale.
Encore alitée et dépendante des autres pour quelques temps, Râleuse en profita pour renouer un peu plus les liens avec les siens. Puis, grâce à sa nouvelle lorgnette et sa vue ENFIN CLAIRE ET NETTE, elle s’efforça de regarder la vie sous un jour différent, celui de la GRATITUDE ET DE LA POSITIVITÉ. Ainsi, lorsque le malicieux docteur Bésicles l’autorisa à quitter son lit de malade, Râleuse mit rapidement son intelligence au service des malheureux de l’île de Grenadine.
Elle s’activa à être la plus joyeuse, la plus affectueuse et la plus gracieuse des demoiselles du palais, puis rencontra un prince charmant et humble de cœur nommé Côme le Complaisant. Le jeune homme avait fait des milliers de kilomètres spécialement pour la rencontrer. Il venait d’un continent lointain et avait traversé les océans pour rejoindre l’île de Grenadine où, disait-on » La plus prévenante, la plus compatissante et la plus intelligente des filles de Salomontil le Sage, s’occupait des plus pauvres « .
Aussi charitables l’un que l’autre, ils tombèrent amoureux et se marièrent avec la bénédiction de tous. Ensemble, unis dans un bonheur simple et entourés d’enfants calmes et satisfaits, ils coulèrent des jours paisibles. Quelques années plus tard, couronnés roi et reine sur la terre natale du prince, les nouveaux souverains établirent un règne de clémence, de justice et de paix.
Douce époque que celle-ci !
Dans leur royaume, mais aussi par-delà les montagnes et les mers, jusqu’à l’île de Grenadine, Côme le Complaisant et son épouse rebaptisée » Râleuse la Bienveillante » par ses sujets, furent reconnus pour être des souverains heureux et reconnaissants de ce que la vie leur accordait.
Fin mot de l’histoire…
SOYEZ RECONNAISSANTS EN TOUT TEMPS ET RÉJOUISSEZ-VOUS, CAR VOUS ÊTES AIMÉS PAR LE ROI DES ROIS, ET SES BONTÉS SE RENOUVELLENT CHAQUE MATIN !
By Christ’in
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