DONTE (SF)

CHAPITRE 1

L’an de disgrâce 2201 du mois du Capricorne.

Bien le bonjour à vous, très chers humains !

Ou plutôt, non.

À Toi, mon très cher et très spécial ami lecteur. À Toi, à qui fut confié dans le secret, cette liseuse accompagnée d’une simple notice :

Carnet conversationnel et éphémère, à remettre au plus éminent de vos spécialistes en « Mondes du futur », sous peine d’autodestruction

À Toi, qui parmi tous les scientifiques du 21è siècle en capacité de le faire, a été choisi pour déchiffrer le contenu de cette liseuse, j’adresse mes plus cordiales et mes plus sincères salutations. À Toi, qui T’apprête à partager ma vie et aura la primeur de quasiment tout savoir sur moi par le biais de ce stupéfiant journal interactif, j’envoie mes meilleurs sentiments.

À Toi, mon très cher et très spécial interlocuteur privilégié, qui à tout moment de l’échange aura connaissance de ce carnet de bord s’écrivant et se déroulant sous Tes yeux, soit par audio, soit sur support papier, en cliquant simplement sur les icônes « ♪ ou ♫ visuels et sonores » placés en pied de page, je dédicace cette correspondance.

De surcroît, je T’offre un « ouaf ouaf  » bruyant – signe de ma reconnaissance envers Ton statut d’homme – doublé d’une franche poignée de patte.

Ah ! Mais… Serait-ce là un raidissement ?

Serait-ce dû à un étonnement de Ta part ?

Mmm… Il semble que le coussinet digital de mon pied droit avant m’informe que ce type d’approches et de salutations – je Te le concède… un poil baveux et enflammé – Te surprenne et T’interroge.

Oh ! Me voilà désolé de T’avoir… un tantinet dérangé…?

Que je suis confus. J’en ai la truffe toute sèche et la queue basse.

À ta décharge, j’avoue que pour un premier contact, ce manque de retenue pour exprimer ma joie de faire Ta connaissance, doit Te paraître surprenant et singulier.

Mea culpa.

J’admets, à ma grande honte, que dans l’euphorie de ma rencontre avec Toi et du partage allant s’ensuivre, j’ai manqué de tact et oublié nos différences d’évolution. En cela, me voilà donc fautif…

Cela mérite un « Ouaaaf…. » de contrition de ma part.

Oh ! Serais-tu en droit de me dire. Au lieu de te blâmer et te charger d’une inutile affliction, pourquoi toi l’inconnu qui s’adresse à moi, n’as-tu pas reformulé tes présentations ? Sans nul doute, recommencer depuis le début et m’accoster d’une manière plus conventionnelle t’auraient évité cette auto-accusation et fait gagner du temps.

Certes ! Certes ! Certes ! Cela est juste !

Tu as parfaitement raison mon très cher et très précieux destinataire. Il est vrai qu’en désossant mon moteur de recherche incorporé, c’est en deux détentes et trois mouvements que j’aurais retrouvé les principes de civilités de Ton époque, et me serais accordé sans difficulté à Ta manière de fonctionner. Il est tout aussi vrai qu’au lieu de Te sauter dessus, langue pendante et gueule ouverte, il aurait été préférable de T’aborder avec une préface explicative.

Je reconnais que j’ai raté mon arrivée. Seulement, je suis entier. Dans mon monde, on me connait pour être « Franc » et « Loyal« . Pour moi, ce qui est dit est dit, et ce qui est fait est fait ! C’est la raison pour laquelle je me présente à Toi sans ambages ni faux-semblant.

Cela étant, malgré le fait que j’assume mes erreurs ; que je revendique ma droiture et mon tempérament spontané, je me dois de Te faire des excuses. Mon très cher et très spécial ami lecteur qui s’apprête à partager ma vie et aura la primeur de quasiment tout savoir sur moi par le biais de ce journal intime en construction, il m’est important de Te demander pardon pour cette entorse au savoir-vivre, et Te promettre de faire preuve de plus de sagesse.

Qu’ouïs-je ?

Mes aboiements T’interrogent ? Tu Te demandes si je suis une sorte de chien savant ? Si je suis un humain transplanté dans un chien, ou quelque-chose dans le genre ?

Je Te répondrai par un « Ouaf… ouaf… énigmatique.

Suis-je ou ne suis-je pas ? Qui suis-je ? Mmm… mystère et boule à mâcher. Mon côté joueur et espiègle m’incite à Te laisser me découvrir. C’est pourquoi, comme pour une charade, je vais parsemer les premiers paragraphes d’indications me concernant.

Pardon ?

Ça ne T’amuse pas. Tu aurais préféré que je décline mon identité dès le départ ou que je me décrive sans tarder.

Tsss… allons… allons… Un peu de patience, mon très cher lecteur du passé. Ce n’est pas dans Ta nature d’être aussi pressé et de vouloir griller les étapes. D’ordinaire, Tu es quelqu’un de réfléchi et de posé. C’est à moi qu’est dévolu l’empressement. Un empressement qui d’ailleurs, me joue souvent des tours de… chien.

CHAPITRE 2

Oui ! Oui ! Je Te l’accorde. Les indices sont de taille.

Tu Te demandes comment je sais que Tu es un homme posé et réfléchi ?

Prends patience, Tu le sauras d’ici peu.

Ah ! Avant d’oublier. En tout bon canidé bien élevé que je suis, je me dois de Te dire combien j’ai plaisir à partager mes mémoires avec Toi.

Tu me remercies, mais Tu voudrais en savoir un peu plus sur moi ? Eh bien pose-moi des questions mon très cher destinataire. Demande-moi et je Te répondrai.

Comment ?

Tu aimerais connaître la technique ou le système utilisé pour entendre Tes pensées et discerner Tes réactions.

Mmm… compréhensible… Tout d’abord, n’oublie pas que je m’adresse à Toi depuis le futur et que le passé m’est accessible. Mes compatriotes et moi-même avons la connaissance du monde depuis sa genèse jusqu’à ce jour de l’an de disgrâce 2201 après celui dont on ne peut dire le nom sous peine de destruction pour les machines et de bannissement pour les humains. De la sorte, aucun personnage célèbre ou moins célèbre ; aucun fait de guerres, aucun traité de paix, aucune crise bancaire, aucun crack boursier, aucun accident sur Terre, sur mer ou dans les airs, aucun fait-divers, aucun scandale, aucune tragédie – grande ou petite – aucune victoire, ni aucune défaite ne nous sont inconnus. Ainsi, de la même manière que l’on T’enseigna sur Tes ancêtres et sur les actions antérieures à Ta naissance, on m’enseigna l’histoire des peuples et des nations. Étant curieux de nature, j’ai dévoré l’Histoire avec un grand « H » en me délectant de la petite histoire. J’ai aimé et je continue d’aimer remplir mes circuits de tranches de vie, ainsi que d’histoires d’hommes et de femmes inconnus mais passionnants…

Tu dois savoir que, là où je réside, nous savons tout de vous. Et hormis les personnes qui avant l’ère moderne, n’ont pas été recensées et dont aucune trace ne subsiste, chacun des habitants de la Terre qui – à un moment donné de son existence – a été consigné sur un écrit, inscrit sur une carte, répertorié sur une liste ou dans un programme, codifié, pucé, géo localisé, enregistré sur photo, vidéo, audio ou sur bande magnétique, se retrouve dans la base de données générale du 22è siècle. Une base de données qui nous est accessible en quelques micros-clics.

Pour ce qui est de détecter Tes pensées et voir Tes réactions, je Te dois une explication. En vérité, je ne vois pas réellement ce que Tu fais. Je ne peux pas voir si Tu fronces les sourcils ou si Tu fais la moue comme si nous étions l’un en face de l’autre. En revanche, mon expérience sur la psychologie humaine associée à mon détecteur de pensées extra-temporel, me permet de deviner Tes pensées et de les interpréter sans trop d’erreurs.

De quelle psychologie, je parle ?

Cher lecteur du passé, après des années d’auto-études et de pratique, je suis en mesure d’affirmer que l’homme est l’homme depuis la création. Ainsi, quelques soient les situations dans lesquelles il évolue, et quelques soient ses conditions de vie, l’homme reproduit pratiquement toujours les mêmes actions venant d’un même schéma de pensées.

Cela T’étonne ?

Au contact de l’homme, j’ai observé qu’à situation similaire, les réponses sont, pour ainsi dire « répétitives et identiques« . Chargé de cette connaissance capitale, j’ai préinscrit chaque lien de cause à effet en algorithmes logiques et comparatifs. J’ai listé chaque répercussion et chaque attitude dans un dossier-matrice nommé « Instincts et logiques humaines« , que j’ai répertorié sous forme d’équations mathématiques. 

Cela Te semble un peu trop simple ? Pour Toi, l’homme n’est pas aussi rationnel ?

Certes, je Te le confirme ! L’homme n’est pas un être rationnel, c’est un instinctif !  Oui, l’homme est bien plus simple qu’il ne le croit. Il est même « instinctivement simple« , quoi que plus compliqué que l’animal qui lui, ne se pose pas de questions et va à l’essentiel.

Oui ! Je Te le confirme, l’homme est un animal évolué !

Ah bon ? Selon Toi, l’homme est homme, et n’a rien d’un animal.

Étrange comme réflexion de la part d’un scientifique…

Que dis-Tu ?

Que Tu n’es pas un évolutionniste, mais un créationniste.

L’homme, une création ? Mais enfin, mon cher destinataire attitré, où as-Tu péché une telle idée ? Qui a bien pu te nicher cette stupidité dans le crâne ?

Comment ? Tu es sceptique quant à l’assertion selon laquelle la complexité de la vie découlerait de mutations aléatoires et serait dû à la sélection naturelle.

Mon cher ami lecteur, l’homme est l’aboutissement d’un animal en mutation. Il n’y a pas à débattre là-dessus. Moi qui suis la reproduction d’un animal descendant du Canis Lupus Familiaris, la sous-espèce du Canis Lupus de la famille des mammifères carnivores digitigrades, et qui ai pour ancêtres les automates, je n’ai pas honte ! J’assume mes origines, aussi curieuses soient-elles !

Tu voudrais des détails sur mon détecteur de pensées extra-temporel ?

Soit !

Pour faire court, mon très cher destinataire, mon détecteur fonctionne du futur vers le passé et du passé vers le futur. Grâce à mon journal interactif truffé d’ondes électromagnétiques, Tes pensées intérieures s’expriment par impulsions électriques et sont converties en ultrasons. Ensuite, elles sont interprétées puis traduites en simultané dans mes programmes de détection. Entre nous, dans mon monde je suis un des rares privilégiés à posséder une telle aptitude.

Satisfait par mon explication ?

Non ! L’idée que je puisse lire dans Ton cerveau, T’effraie !

Pas d’inquiétude. Mon système de détection de pensées est je l’admets, très sophistiqué, mais il est paramétré avec un logiciel de contrôle des sentiments. Identique à un programme de « contrôle parental » de Ton époque, on m’a inséré un limitateur de pensées rattaché à des mots clefs. Ainsi, dès qu’un humain a des pensées immorales, violentes ou tordues, mon détecteur me bloque aussitôt l’accès.

Ça ne Te rassure pas vraiment ? Tu voudrais davantage d’explication ?

CHAPITRE 3

Bon, avant de reprendre là où je m’étais arrêté, je pense utile et nécessaire de Te faire un bref récapitulatif de ce qui s’est dit jusqu’à présent. Voici donc les éléments essentiels à retenir et qui vont T’être utiles. Je suis doté d’un programme ultra-sensoriel et ultraperfectionné, décryptant les cerveaux des hommes ayant vécu dans le passé ou évoluant dans mon présent. Ce programme appelé aussi « détecteur de pensées » me permet d’analyser leur état émotionnel et d’anticiper leurs réactions. Il fonctionne à toutes distances, quelque soit l’époque à laquelle vit mon correspondant et quelque soit l’endroit où il se situe sur la planète. De plus, si je me concentre sur une personne en particulier en saisissant le jour, le mois, l’année et l’heure où je souhaite établir la liaison, il m’est facile et rapide de m’infiltrer dans sa tête.

Doué de réceptivité, je suis aussi capable de détecter les émotions et les sentiments des humains que je côtoie sur Donte. Le simple fait de regarder leur visage, de repérer les mouvements oscillatoires ou fixes de leurs pupilles, de calculer la courbure de leur rides d’expression, de comptabiliser leurs tics involontaires et les crispations associées, me permet de connaître leur humeur et de prévoir leur comportement futur.

Ce résumé Te convient-il ?

Toujours pas. Cela dépasse Ton entendement et Te semble irréaliste.

Soit, je ne vais pas Te contredire ni m’opposer à Toi. Après tout, Tu restes un humain du 21è siècle à la pensée limitée.

Comment ?

Tu estimes qu’il est scientifiquement impossible de lire dans les pensées à une distance de presque deux-cents ans ?

Et pourtant, mon cher lecteur du passé, je Te garantis que l’homme n’a quasiment pas de secrets pour moi. Malgré Tes doutes et Ton incrédulité, je connais l’humain presque sur le bout des coussinets. Sans me vanter – défaut que je n’ai pas – je sais à l’avance comment il agira et comment il raisonnera.

Tu as du mal à y croire ?

Soit !  Seulement, apprends que d’ici à l’an 2201, ce qui Te semblait improbable sera on ne plus ordinaire.

Reprenons. Où en étions-nous ? Mmm

Ah oui ! Merci !

Nous avions bifurqué au moment des salutations. Nous en étions au moment où j’avais constaté que mes salutations bouillonnantes ne T’étaient pas adaptées. Donc, sans revenir sur notre échange à ce propos, je conçois que ce trop-plein d’hardiesse T’incommode. Je suggère en ce cas, que nous nous contentions de relations aimables et courtoises. À ce stade de notre échange, je T’épargnerai donc mes léchouilles surexcitées que je réserve à mes proches.

Ah ! Mais qu’entends-je à nouveau dans mes systèmes ? Que perçois-je encore ?

Mon coussinet palmaire à haute détection, m’informe que Tu déplores ma soudaine retenue, et que finalement, mon enthousiasme Te plaisait bien.

« Ouaf !  » Me voilà caninement content de ce changement d’avis !

Quoi ? Tu crains que Ta réticence du début et que Tes questionnements ne m’aient indisposé.

Oh, non ! Rassure-Toi, mon très cher et très spécial ami lecteur qui s’apprête à partager ma vie et aura la primeur de quasiment tout savoir sur moi par le biais de ce stupéfiant carnet de bord, dans quelques paragraphes, je Te certifie que nous serons suffisamment intimes pour nous épargner ces encombrantes gracieusetés.

Enfin, nous n’en sommes pas encore là !

J’ai promis d’être sage et circonspect. Et pour ce qui est d’un rapprochement entre nous, nous en reparlerons dans une quinzaine de lignes… Mmm… peut-être moins, peut-être plus… Quoi qu’il en soit, d’ors et déjà, sache qu’il m’est plaisant et stimulant de communiquer avec une personne spéciale et identifiée – bien que non-immatriculée – telle que Toi !

Car oui !

Attendu que par ce journal de bord tenu entre Tes pattes… heu… non pardon, entre Tes nobles mains… j’aime l’idée d’avoir un confident personnel de qualité à qui je vais pouvoir facilement me dévoiler. J’admets que devoir me livrer à des humains lambda et sélectionnés au hasard, m’aurait beaucoup moins enthousiasmé.

Oui, sans être vantard – cette anomalie de caractère n’étant pas incluse dans mes circuits de tempérament – il est certain qu’un récit de vie tel que le mien, n’a pas été transmis à n’importe qui.

Du moins, en première instance…

Cela va probablement Te rajouter du trouble, mais avant d’entrer dans le vif du sujet et Te relater un pan de mon vécu, il me faut Te confesser quelque chose.

Je suis franc, je Te l’ai dit !

Pour Te dire la vérité, avant d’initialiser cette correspondance, on m’avait transmis l’identité de mon destinataire. À ce moment là, j’ai fait Ta connaissance. Nom, prénom, profession, diplômes, numéro de sécurité sociale de votre époque et date approximative à laquelle nous serions connectés, je n’ai reçu que des indications de base sur Toi. Les informations étaient basiques, mais le peu que j’ai appris Te concernant, m’a réjouit et mis en appétit. Étant perfectionniste et farfouilleur de nature, j’ai souhaité Te connaître davantage, et je n’ai pas été déçu. Renseignements pris à Ton sujet, j’ai découvert Ton Q.I de 165 et j’ai vite compris que Tu n’étais pas n’importe qui. Insatiable et curieux, j’ai dévoré Ton curriculum vitae. Et alors là ! Je puis dire « Remarquable ! « 

Parole de chien !

Quel parcours !

À commencer par Ton entrée et par Ton évolution dans la sphère scientifique. Admiratif de Ta passion pour les civilisations et les mondes futurs, j’ai noté avec grand intérêt, puis classifié l’ensemble de Tes travaux. À la suite, j’ai listé Tes ambitions professionnelles avant de dénombrer Tes réussites et Tes échecs. En bonus, j’ai repéré entre les lignes Ta louable et belle intégrité, j’ai aimé Ta très grande persévérance, et apprécié Ta constance et Ton sérieux.

Oui ! Avant même d’avoir inscrit le premier mot que Tu lirais avec passion et attention, je détenais un grand nombre d’éléments sur Toi !

Cela T’étonne ?

Il est normal que Tu T’étonnes, mon cher et brillant correspondant du passé. Si Tu y réfléchis, nous avons des décennies d’écart technologiques, et donc une compréhension différente et divergente des choses. Si nous transposons l’expérience à Ton niveau, imagine-Toi approximativement deux-cents ans en arrière. Imagine-Toi, débarquant un beau matin dans la vie d’un homme d’intelligence supérieure ; un érudit reconnu par ses pairs et s’intéressant aux nouvelles avancées de son époque. Imagine-Toi, T’adresser par exemple, à André-Jacques Gamerin, l’inventeur du parachute, ou à Richard Trevithick, le concepteur de la première machine à vapeur. Imagine-Toi leur expliquer que des drones affichent une vitesse de pointe de 20 970 Km/h, que des oiseaux d’aciers baptisés « avions hypersoniques » volent à 8 575 Km/h, et que des trains à grande vitesse roulent à plus de 600 Km/h. Imagine-Toi leur révélant à quel rythme et avec quelle facilité, les fusées du 21e siècle vont et viennent de la Terre à la Lune. Autre exemple. Imagine-Toi, informant Volta – l’inventeur de la pile électrique – que le cœur humain défaillant fonctionne grâce à des pacemakers. Imagine-Toi, l’instruire des technologies qui sont devenues banales et monnaie courante au 21è siècle, alors qu’il ne connaît même pas l’ampoule électrique. Imagine-Toi, débattre avec le neurologue Jean-Martin Charcot qui traitait l’hystérie par hypnose, des greffes et des cellules souches quand la médecine de son temps utilise les cautères, les scarifications et les sétons.

Il est certain que tous ces hommes – aussi progressistes, instruits et avisés, soient-ils – tomberaient de haut à l’écoute de Tes révélations.

Ah ! Je perçois un sourire d’acquiescement de Ton côté !

Quoi ? Tu Te demandes de quelle manière je sais que Tu souris ?

Élémentaire, mon cher destinataire ! Un sourire s’entend ! Il se mesure par des mouvements ondulatoires présentent dans les synapses du cerveau. Aidé de mon oreille interne et grâce à ces mouvements ondulatoires, je décèle les émotions dans les pensées, et je distingue le positif du négatif.  Enfin, tout cela est assez complexe et je T’en reparlerai plus longuement dans un autre chapitre.

Qu’en penses-Tu ?

Oui, je pense exactement comme Toi. C’est coooooool !

Ah ! Au fait, petite précision et information non négligeable. Apprends qu’à ce degré de la discussion, moi aussi je souris.

Sympathique, non ?

Qu’il est doux dans ma tête, ce « oui  » qui s’inscrit dans la tienne.

Mais reprenons. Je disais donc qu’il est cohérent et logique que Tu t’étonnes. Je dirais même que c’est Ton absence de réaction qui m’aurait étonné. En effet, quoi de plus normal et de plus humain que d’être surpris ? Nous sommes Toi et moi, à des années-lumière d’écart de cultures, de civilisations, de mentalités, de modes de vie, de perfectionnements, d’avancements, de transformations – voire même de transmutations – d’évolutions techniques et génétiques. Nous sommes bien plus éloignés que ne le sont la Terre et les étoiles, et pourtant… Et pourtant, je me sens tellement proche de Toi à cet instant… Si intimement proche…

Quelle étrange impression…

Il faut dire que cette correspondance est en quelque sorte, le système Wifi qui me permet d’entrer en liaison avec Toi et nous relie tous les deux à travers l’espace-temps. Tant que Tu restes concentré sur mon journal interactif, Tes pensées et Tes réactions me sont accessibles. Si Tu T’en décentres, je perds la connexion avec Toi.  

Tu veux savoir jusqu’à quel point je sais des choses sur Toi, et dans quelles proportions je connais le présent et l’avenir ?

Pour répondre à Ta question, mon correspondant de choix, disons que je possède des milliards d’éléments sur Toi, sur Ton siècle et sur ceux qui vont suivre, mais il me manque certaines données. À l’heure d’aujourd’hui, je n’ai la capacité que de retranscrire l’existant. Bien entendu, il n’est pas illogique de supposer que tous les objets expédiés,y compris ce document en Ta possession, partis de l’an de disgrâce de 2201 pour redescendre vers les années 2000 et plus, via notre boussole numérique baptisée M.R.T.1, devrait totalement bouleverser Ton monde et le révolutionner. Il serait juste de penser que nos biens et nos informations devraient réformer les mentalités à partir de Ton époque détentrice, puis faire muter la société. Sauf qu’il y a un os dans le pâté. Je suis désolé de Te le dire, mais l’impact que cela aura sur vous et sur les générations futures, sera minime car dilué dans le temps. La plupart de ceux de Ton époque continueront de croire que le progrès s’accroissant est un bienfait pour l’homme et pour la Terre, un engagement de mieux-être. Ils s’accrocheront à l’espoir que les avancées médicales et technologiques vont améliorer leur vie et celles de leurs descendants. Ils adhéreront au fait que la science promet d’éradiquer la misère, les maladies, la vieillesse, le chômage, le handicap, la dépression et même de faire reculer la mort.

Leurs regards seront fixés sur le but, sans tenir compte des moyens utilisés pour y arriver. Des moyens qui creuseront davantage des fossés d’injustice et feront perdre à l’homme son essentiel et sa plus grande richesse. Cette richesse comme ce regard ouvert et bienveillant en direction des plus faibles. Un regard protecteur qui le renvoie à sa propre faiblesse, à sa fragile condition d’être vivant, minuscule et dépendant. Un regard qui le maintient dans son humanité…

Désolé mon très cher destinataire de dégonfler Ton exaltation comme un vieux ballon percé, mais c’est la triste vérité.

Tu refuses d’y croire ?

Et pourtant… Un « Ouaf… » fataliste est de circonstance, car sans en avoir eu de preuves formelles – mais selon mes analyses – je peux dire que certains professionnels de Ton temps ayant eu connaissance d’M.R.T.1 et de son contenu, s’appuieront sur mes confidences pour tenter de protéger notre belle planète des menaces pesant sur elle. Malheureusement, ils en seront empêchés.

Tu veux savoir de quelles menaces je parle ?

J’ai prévu de Te développer ce sujet un peu plus loin. Néanmoins, je peux T’annoncer qu’en l’an de disgrâce 2201, Ton monde et Ta civilisation ne représenteront plus qu’un tout petit nombre, et que ce petit nombre vivra tapi dans les fissures de la roche.

Pourquoi ? À cause de quoi ?

À cause des malheurs et des fléaux qui vont détruire la Terre, et obligeront les survivants à se restructurer puis à se soumettre à un gouvernement inique et totalitaire.

Tu T’insurges ? Tu refuses que le monde finisse de cette manière ?

Pas de doute là-dessus. J’ai la certitude que Toi et quelques uns de Tes collègues scientifiques – mis au courant de mes révélations – auront à cœur de protéger la Terre et ses milliards d’habitants, et s’imagineront pouvoir les sauver du chaos annoncé.

Je T’annonce que Tu feras partie de ces défenseurs du monde.

Oui, Toi.

Toi et une poignée d’autres opiniâtres, penserez possible de stopper les cataclysmes en revendiquant un retour en arrière technologique ainsi qu’un retour à la morale. Mais hélas…  Hélas, mon très cher destinataire de valeur, je préfère T’avertir que vos projets et vos actions ne seraient que des coups d’épées dans l’eau. La machine est en marche. Et, ni toi ni personne ne pourra l’arrêter. De surcroît, si vous tentez de révéler au monde ce que l’avenir lui réserve, vos hiérarchies et vos gouvernements muselleront vos tentatives dissidentes, bâillonneront vos bouches. Ils interdiront et stopperont vos interventions publiques. Ils censureront vos conférences, et peut-être même menaceront-ils vos vies et vos familles…

Un conseil, mon cher lecteur du passé, ne Te lance pas dans ce combat perdu d’avance. Te mettre en travers des institutions et Te battre pour désorganiser le cours des choses, serait vain et dangereux. Dis-Toi que quoi que Tu fasses et quoi que Tu dises, tout est déjà gravé dans le marbre. Que Tu interviennes ou que Tu n’interviennes pas, ce qui doit s’accomplir, s’accomplira. Tout se réalisera tel qu’il est prévu depuis la nuit des temps. C’est ainsi. Tu dois Te faire une raison.

Comment je peux être aussi affirmatif ?

Tout simplement, parce qu’en parallèle de ma connexion avec Toi, je continue d’avoir accès au présent sur Donte et au passé remontant jusqu’à Toi. Dès lors, je peux T’affirmer que depuis le début de notre échange, absolument rien n’a changé dans mon monde et dans le monde ancien. Dans mes archives et mes WIKI améliorés, tout est intact et comparable aux informations connues il y a une heure, dix mois, cent ans et plus. C’est donc à regret que je T’atteste que mon irruption dans Ton temps n’influencera pas d’un iota Ton présent et ne modifiera pas non plus le mien.

Tu dis qu’il est normal que rien n’ait changé, puisque Tu n’as encore intenté aucune action ?

Vrai, mais c’est encore à regret que je T’informe qu’il m’est extrêmement facile et rapide de Te retrouver dans mes mémoires, et Te situer dans un an, deux ans, dix ans et même trente ans…

Et alors ?

Et alors, rien. Désolé de Te dire que dans trente ans, M.R.T.1 et notre correspondance, resterons dans Ton esprit comme une énorme frustration, mais aussi comme une expérience incroyable que T’auras aidé à voir la vie autrement. Une expérience qui T’auras fait prendre conscience que la vie est un cadeau et que Tu dois en faire un bon usage. Une expérience qui T’auras ouvert les yeux sur le fait que tout n’est que vanité et poursuite du vent. Une expérience qui n’aura pas bouleverser le monde, mais qui T’auras bouleversé Toi. Oui, mon cher destinataire, sans nul doute, c’est dans Ta vie personnelle que s’opéreront les grands changements. Après notre échange, Tu Te recentreras sur l’essentiel et c’est dans Ta vie personnelle que Tu laisseras les plus belles traces. C’est dans Ta famille et auprès de ceux qui Te sont proches que Tu apporteras la plus grande des lumières.

Bien sûr, cela semble peu au regard des milliards de personnes qui vont périr, mais dis-Toi que c’est déjà beaucoup dans une vie d’homme… Garde précieusement Ta part d’humanité. Fais-là grandir tant que Tu le pourras, et dispenses-là dans Ton sillage…

Je partage Ton avis. J’avoue qu’il m’aurait plu moi aussi, de refaire le monde avec Toi.

Oh, Je sais !

Je sais que mes affirmations sont difficiles à entendre et à admettre, mon très cher et très privilégié locuteur. Je sais, pour T’avoir minutieusement étudié, que mes révélations sur le futur vont T’effarer, voire même T’anéantir. Je sais que ce que Tu va apprendre sur Donte est parfaitement contraire à Ton éthique et à Tes convictions. Je sais qu’il Te sera difficile et compliqué de vivre avec le poids de mes confidences sur la conscience. Je sais tout cela… et sache que je compatis… Oui, je compatis…

Pourquoi ? Tu me demandes pourquoi la porte du 22e siècle s’est-elle ouverte, alors que Tu ne peux qu’en être spectateur ?

 Bonne question ! Je n’ai pas la réponse.

Ma seule indication est que le programme M.R.T.1 était un programme prioritaire dans ma cité. C’était un projet ambitieux et captivant qui depuis longtemps, tenait tout le monde en haleine. C’était le projet le plus attendu. Celui qui a demandé le plus de temps et d’énergie. Celui qui a utilisé le plus de moyens matériels et financiers, et de cerveaux intellectuels.

En ce qui me concerne, j’avoue modestement que le pourquoi du comment de cette incursion dans le passé, ne m’a pas préoccupé. À mon niveau, j’y ai surtout vu une magnifique opportunité d’entrer en relation avec quelqu’un ayant vécu avant l’ère du post-humain. Pour être sincère – qualité que je possède – c’est d’abord la curiosité qui a motivé ma démarche.

Maintenant, alors qu’on en discute tous-les-deux, je reconnais que c’est un lourd fardeau qui T’es imposé là. Un fardeau qu’il va Te falloir porter tout seul… Ta vie durant…

C’est cruel, dis-tu.

Oui, je suis de Ton avis. C’est en effet… cruel. En même temps, ça ne me surprend guère. La cruauté est un véritable jeu sur Donte. Un jeu, presqu’un loisir dont se repaît copieusement nos hautes instances. Sans en avoir de certitude, j’ai souvent eu l’étrange impression que les humains étaient semblables à des pions sur un échiquier géant. Des pions que l’on dirigeait, que l’on observait et puis que l’on regardait se perdre et s’entre-tuer…

Qui, on ?

Je ne peux en dire plus. Oh ! Et puis l’heure n’est pas aux regrets et aux lamentations. Nous avons d’autres chats à fouetter.

Mais, pourquoi ces pensées sombres et soudaines dans Ta tête ? Pourquoi es-tu aussi abattu ? Reprends-donc du poil de la bête ! Nous venons à peine de nous rencontrer et j’ai encore sous la patte, un tas de révélations incroyables à Te faire. Des révélations qui, Tu peux me croie, vont Te donner des palpitations et vont Te faire monter les larmes aux yeux. Rassures-Toi mon très cher et très précieux correspondant du passé, il n’y a pas que du mauvais dans le futur, il y aussi de jolies choses…

Oh ça, oui ! Parole de chien !

Et puis pour T’apaiser, dis-Toi que Tu viens de gagner un ami plus âgé que Toi d’environ deux siècles. Un ami qui rêve d’être à Ta place sur cette bonne vieille Terre qui sent la chlorophylle et l’air marin. Pense, combien Tu es chanceux ! Combien il est heureux pour Toi d’avoir un ami à quatre pattes qui a de l’estime et de l’admiration pour Toi.

Un conseil mon très cher destinataire. Après avoir déchiffré, lu, vu ou écouté mon journal intime, ne perds plus Ton temps en œuvres infructueuses. Donne Ta priorité à Ta vie. Commence à y peindre et y marquer Ta plus belle trace.

De Toi à moi, je T’engage à vivre Ta vie et à aimer les tiens du mieux possible. À les aimer sans retour. À passer moins de temps sur Tes recherches et plus de temps avec tous ceux qui Te sont chers. À leur démontrer Ton amour en actes et en paroles. À les gâter. À les encourager. À les embrasser. À passer des moments de qualité avec eux. À semer l’amour autour de Toi.

Et surtout !

Surtout. À ne jamais oublier de leur dire « Je t aime« . Oui ! Dès que l’occasion se présentera, n’omets jamais de le faire. Ne T’en prive pas, car il viendra un temps où cela ne Te sera plus possible et plus permis. Un temps où Tes regrets surviendront et Tes remords T’envahiront. Un temps où il sera trop tard…

Confidence pour confidence, sur Donte, l’amour n’a plus la même intensité ni la même signification qu’elle en avait encore de Ton temps. Oh, bien sûr… l’amour et le sentiment amoureux existent encore, puisqu’ils font intrinsèquement partie de la nature humaine, seulement ils ont été ternis pas nos conditions de vie et par l’immoralité croissante. Ici, l’amour ne s’exprime plus comme à ton époque. L’amour est jugé comme un sentiment primaire. Il est mal-vu et malvenu par une grande majorité. On le considère comme une émotion inférieure, handicapante et importune qui entrave l’intelligence. C’est un signe de faiblesse et y succomber, est presque une tare. C’est dire…

Sur Donte, tout est calculé, soupesé, marchandé pour un profit personnel. Donner sans attendre en retour, n’existe pour ainsi dire « plus« , à part chez quelques rares humains. Aujourd’hui, il faut se cacher pour s’aimer et vivre un amour pur. C’est bien triste… Le romantisme est banni de Donte. Sauf exception, n’ont plus cours que des unions de raison. Des unions pensées et programmées pour s’élever en société. Des unions utiles pour obtenir quelque-chose de plus pour son égo, pour une valorisation supplémentaire, pour accéder à un statut plus important, pour améliorer sa carrière, pour faire grandir son estime de soi, pour augmenter son pouvoir sur les autres ou pour sa gloire personnelle.

Que dis-Tu ?

Si je peux Te révéler ce qu’il adviendra d’M.R.T.1.

Je T’ai précisé tout à l’heure qu’il me manquait certaines données. Le destin d’M.R.T.1 fait justement partie de ces éléments qu’on a retirés de mes circuits.

Je n’ai pas d’information quant au devenir d’M.R.T.1 et je ne suis pas devin non plus. En revanche, « supposer et déduire », c’est dans mes cordes ! À ma portée, je peux supposer, déduire et faire des recoupements. En vertu de cela, si je compulse les archives stockées dans mon catalogue personnel, si je me réfère à mes connaissances sur votre fonctionnement sociétal et politique au 21e siècle, et si je regarde comment et à quelle vitesse le progrès s’est déployé au long des décennies, je peux dire avec un taux de certitude proche du 100%, que la venue d’M.R.T.1 – dont je vais prochainement T’éclairer  – n’agitera pas votre monde comme Tu aurais pu le supposer. De façon sûre, les élites vont dissimuler l’existence d’M.R.T.1 au grand public. Toujours selon mes hypothèses, mes aveux seront vraisemblablement épluchés dans l’ombre par des techniciens aussi brillants que Toi. Papatte au feu et  tête de clebs à couper, que l’étude approfondie de ce document majeur, non-reproductible  et temporaire – car programmé pour s’effacer dans un temps que j’ignore et que vous ignorez – se fera sous couvert de votre Force Armée. Pour finir, je suis convaincu que la totalité des pièces extraites d’M.R.R.1 seront classées « Secret-défense » et conservées en lieu sûr sous très haute surveillance. Ceci, afin de ne dévoiler qu’au compte-gouttes les informations sur le siècle à venir, et préparer psychologiquement et par étapes successives l’homme de demain.

Ah ! Que tout cela me stimule et me réjouit !

Tu me demandes comment je peux me réjouir de ce futur immuable et de cette main mise gouvernementale qui entraîne le monde à sa perte ?

Que veux-tu mon très cher correspondant, je suis un optimiste. Je préfère voir la gamelle d’eau à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide. En conséquence, me voilà particulièrement content et flatté d’imaginer que, bien que cachées sous le boisseau et contrôlées par vos gouvernements, mes déclarations vont s’inclure dans Tes programmes scientifiques et seront analysées par un savant aussi qualifié que Toi !

Je suis tellement content que me voilà, tournant sur moi-même, la queue frétillante et jappant d’allégresse !

« Ouaf ! Ouaf !  » Que la perspective m’est ossement bonne !

Et que Te voilà chanceux, mon ami du temps passé ! Toi qui tiens un trésor inestimable entre Tes mains. Toi l’élu, qui parmi des centaines de cerveaux en mesure d’être choisis, fut désigné pour administrer et décortiquer mon journal. Toi qui par mes révélations aura l’insigne honneur d’apprendre de quelle manière l’homo-sapiens que l’on dénomme aussi “homme moderne”, évoluera, se déplacera et respirera dans moins de deux-cents ans. Toi qui va découvrir dans quel contexte vivront tes successeurs et à quoi ils ressembleront. À Toi, je veux dors et déjà signifier mes meilleurs sentiments. De plus, sachant que par définition je suis « le meilleur ami de l’homme » et qu’on m’a conçu pour être docile, obéissant et déférent envers l’espèce humaine – quoique ma soumission dépende de certaines conditions -, mon très cher et très spécial lecteur du passé, il me faudrait Ton accord pour franchir une étape supplémentaire dans notre relation. Avant de me répondre, je Te demande de ne pas voir d »insolence dans cette requête, mais de plutôt y voir la preuve que je T’apprécie, que je Te respecte et que j’ai toute confiance en Toi !

De plus, j’en ai envie !

Je sais, c’est audacieux. Seulement, instinct primaire oblige, j’ai vraiment très envie d’être un poil plus familier avec Toi. C’est pourquoi, oreilles couchées et museau bas, je Te demande la permission de T’appeler tout simplement « l’Ami« .

Tiens… Ne dirait-on pas que je décèle chez Toi, quelque-chose qui ressemblerait à un rictus… ? Un étirement labial qui s’apparenterait à un sourire…? Mmm… Tiens, tiens… mais ne serait-ce pas une approbation ? Mmm… Eh bien l’Ami, cela est fort bon signe et augure d’un riche et bienheureux partage. Tu ne saurais me ravir davantage l’Ami. Nous voici à une nouvelle étape de notre relation, et pour Te remercier, je t’offre à distance une mini léchouille électronique, garantie sans germes ni bactéries.

Oh ! Mais attends, cachottier que Tu es. Je renifle que sous ton apparente froideur, se cache un vrai bon cœur. Je flaire que Tu es un humain relax et pacifiquen’ayant que faire des grands principes de savoir-vivre.

C’est une bonne chose !

Cela étant, il me faut reconnaître qu’à Ton époque, les codes et les convenances n’étaient pas aussi rigides qu’elles le sont actuellement. Dans mon temps présent, nous obéissons à des autorités dissemblables des tiennes, nous répondons à une discipline dont Tu n’as aucune idée, et nous sommes soumis à des règles qui Te sont méconnues.

Tu trouves ça intriguant, l’Ami ? Tu as hâte d’en savoir plus ? De quoi ? Ah bon ? Tu aurais aimé me voir en réel ? Il t’aurait plu de discuter avec moi autour d’une bière ?

Ah ! Que l’offre est alléchante !

Quelle merveilleuse idée, l’Ami !

À mon sens aiguisé, nulle invitation ne serait être meilleure et cela mérite un « Rouaf ! Rouaf !  » d’exaltation. Quoi de mieux, car bien que je n’ai jamais trempé mes babines dans ce fameux houblon – disparu de la surface de la Terre depuis des lustres – j’ai lu de nombreux articles sur les adeptes et les amateurs de bonne bière. De fait, j’ai compris que « la roteuse » comme certains l’avait baptisée, était une boisson conviviale, appréciée sur une grande partie du globe.

Ah l’Ami ! Très cher destinataire !

Chaleureux, sociable et loyal sont des qualités que je détecte en Toi. 

Je dois dire l’Ami, que nonobstant le fait que Tu ne sois pas un de ces clébards des temps anciens, Tu en possèdes les attributs. Je suis rassuré de voir que nous avons des similitudes de caractère, et je me sens verni d’avoir un confident tel que Toi. Sans me tromper, je peux affirmer que nous sommes faits pour nous entendre.

Cela mérite un « ouaf » de décompression. Qu’en dis-Tu, l’Ami ?

Allez tiens, avant de m’épancher davantage et te renseigner sur moi et sur ma modeste animalité, je te gratifie de petits coups de langue non râpeux et estampillés « hygiéniques » sur le bout du museau. Heu… non pardon, sur le bout de ton nez.

Hé hé ! As-tu remarqué ?

Non ?

N’as-tu pas remarqué l’ami, qu’au paragraphe précédent, j’avais pris la liberté de retirer Tes majuscules ?

Je sais. Tu serais en droit de me dire que c’est hardi de ma part et certes… un poil rapide. Oui, car après tout, tu ne sais pas grand chose de moi et tu ne connais pas non plus mes intentions. Je comprendrais que tu me reprennes. Ce serait légitime. Mais que veux-tu ? Ma spontanéité naturelle me rattrape à nouveau. C’est ainsi. Je n’y peux rien. Et bien que génétiquement je ne sois pas un animal, et que ma communauté me classifie en tant que « reproduction améliorée« , mon concepteur de génie a retranscrit dans mes programmes sources, l’instinct basique des animaux. Cela fait partie de moi. Tu comprendras donc pourquoi il m’est difficile d’enfouir et de lutter contre mes sentiments premiers. Il m’est difficile de les tenir en laisse. Pour te dire à quel point c’est difficile. À la seconde où je me suis connecté à toi, j’ai eu l’envie forte et impérieuse de briser les frontières entre nous. C’était si fort que je n’ai su y résister.

Sans vouloir me justifier à tous crocs, créer un lien de proximité avec toi, l’a emporté sur mon éducation, sur mes promesses et sur ma volonté d’être… sage. Cela étant, j’ai outrepassé mes droits et il me faut m’en excuser. C’est donc l’échine courbée que je te réclame – non pas l’habituelle caresse de pardon, matériellement impossible – mais la permission de retirer ces majuscules pompeuses et encombrantes.

Puis-je ?

Suis-je autorisé à continuer ?

Mmm… tu hésites à me répondre. Je te prends de court.

Mettons un terme à ces convenances !

Cessons là ces règles lourdes et ennuyeuses qui m’usent les batteries, et qui je le pressens, pourraient nuire à nos échanges. Par peur… Par honte… Par prudence… il se pourrait bien l’ami, qu’à trop prendre garde à mes mots et à multiplier les courtoisies, je ne me dévoile pas totalement.

Cela serait fort dommage, ne crois-tu pas ?

Comment ? Tu me trouves cabotin.

Mmm… sans vouloir te contredire, je me sens davantage « Cabot« , que « Cabotin« …

Tu agrées. Parfait, mais tu agrées quoi exactement ? Tu es d’accord pour le « Cabot » ou tu es d’accord pour virer les règles de bienséance ?

Tu es d’accord pour les deux. À la bonne heure, l’ami !

Tu es décidément très coooooooooooooool. Une fois de plus, ta « cool attitude » allège mes circuits intégrés.

Ah ça ! Quelle aubaine d’être tombé sur toi plutôt que sur un os.

Oh ! Mais je flaire que tu apprécies mes jeux de mots et je renifle qu’ils te font rire ?

Langue pendante et queue battante, si je ne me retenais pas l’ami, il y aurait un pipi de joie à la place où je suis. Mais « Rouaff ! » ironique. Je plaisante, bien entendu. Ce type de manifestation primaire ne me ressemble pas. Je sais me tenir et puis, je m’en voudrais d’infliger cela à mon maître, allongé sur son lit à une vingtaine de pattes de moi, qui ne va pas bien du tout. Pour finir de te rassurer, mon admirable concepteur Dad 1, ne m’a pas pourvu de système urinaire. Il n’existe pas de fonction « pipi ou déjection » dans mes circuits.

Ô rage ! Ô désespoir !

Ô combien, j’en suis certain l’ami ! Là, maintenant. À ce degré de notre échange, ô combien j’en suis sûr, une de ces sacrée bonne vieille séance de gratouilles entre les oreilles, agrémentée de « baisers-truffes« , nous auraient fait le plus grand bien et auraient scellé notre amitié !

Hélas, cela ne nous est concrètement pas possible. C’est donc par écrit ou par audio interposés – selon tes choix de supports – que nous échangerons nos émotions et nous transmettrons de l’affection.

Pour ce qui est du respect évoqué plus haut, je partage ton avis. En ce sens, j’affirme que « tant que le respect subsiste et que la franchise demeure« , alors tout va bien. Ah ça ! J’ai surpris tellement d’hommes et de femmes se faire des politesses et des ronds de jambes, tandis que je ne percevais en eux que fourberies, mesquineries, hypocrisies et méchancetés.

Allez, tiens l’ami ! Pour te prouver mon affection, je vais faire quelque chose que je ne fais que rarement. Je vais te rebaptiser d’un gentil surnom témoignant de ma haute estime pour toi. Je vais t’appeler Guy qui se prononce Guaille et signifie “pote, poteau ou copain…”.

N’est-ce pas sympathique Guy ?

Mmm… je saisis que tu approuves et… qu’à nouveau, tu souris…

Alors là, sans vouloir me vanter – défaut que je ne possède pas – à coup sûr, j’ai tout bon.

Tu y consens aisément.

C’est tout à ton honneur, même si je ne suis guère surpris de tes réactions, attendu qu’à la lecture de qui tu étais, je pressentais que toi et moi, nous entendrions au poil. Bon ! Puisque nous voilà tous les deux sur la même longueur d’ondes trans-espace-temps, je dis « Adjugé pour Guy » ! À partir de maintenant, j’utiliserai Guy pour te nommer, même s’il arrive encore de temps à autre, que dans la conversation tu redeviennes « l’ami  » ou « mon très cher lecteur du temps passé« .

Ne trouves-tu pas Guy, que pour fêter notre rapprochement, un “Ouaf “ exalté serait le bienvenu ?

Comment ? Que dis-tu ? Tu es tout-à-fouaf d’accord !

Mais que tu es drôle l’ami ! J’en ai les babines « baba« .

Quelle surprise de découvrir ton aptitude aux mots d’esprit. Si je le pouvais, j’en baverais d’allégresse. Il faut dire qu’à l’étude de ton C.V, ta simplicité de cœur et ton humour ne m’avaient pas sauté aux prunelles. Lorsque j’ai pris mes renseignements sur toi, je n’ai pas remarqué que nous parlions le même langage. Celui de la farce et de l’autodérision.

Ah l’ami ! Nous sommes décidément faits pour nous entendre.

Croquettes de synthèse et pâtée de taupe déshydratée, quel beau duo nous formons toi et moi !

Que cette association est prometteuse !

Cela me met en joie. Pour preuve, j’en ai les oreilles en position « chien de garde » et l’appendice en mode « agitée« .

Que dis-tu ? Mmm… tu es soulagé de t’apercevoir que l’humour et la dérision ont conservé leur fraîcheur et leur authenticité ? Tu te réjouis qu’ils n’aient pas pris une ride malgré le poids des ans ?

Ah Guy ! Guy, mon ami des temps anciens ! Si tu savais combien j’aimerais te serrer la paluche et combien je t’envie. Oui ! Toi qui à l’heure qu’il est dans mon présent, résides depuis des centaines d’années dans “La Villégiature”, du moins je l’espère, sache que je jalouse tes libertés. Je jalouse ce dont tu jouis et dont je suis privé. Toi, qui à ton époque à la possibilité de t’ébattre en pleine nature et peut à loisir, t’enivrer de l’air pur du dehors, bien que je n’éprouve pas le manque de ces choses que je n’ai jamais goûté, j’envie malgré tout tes privilèges.

« Privilèges » qui ne me sont pas accessibles, étant donné que la Terre est inhabitable et délaissée à des chaleurs infernales… depuis… Mmm… Voyons voir… Mmm… si j’interroge mes archives intégrées, la vie en-haut n’est plus possible depuis… oh là l’Ouarf… De longue date… de très longue date. Oui, bien avant ma conception…

Guy ! Mon ami ! Toi l’homme du 21e siècle dont je pressens l’impatience de découvrir mon univers, je te promets un voyage qui devrait changer radicalement ta vie et ta conception de la vie…

En effet, je vais te transporter dans mon réel. Je vais t’emmener là où l’homme n’est plus vraiment humain et la machine, plus vraiment machine. Je vais t’emmener dans un monde qui ne se conçoit plus sur Terre, mais sous Terre. Je vais te faire entrer à l’intérieur de nos maisons ; des bulles aseptisées qui vont t’époustoufler par leurs configurations et par leurs équipements technologiques.

Pour commencer Guy, tu dois savoir qu’à l’origine de notre rencontre il y eut M.R.T.1, « la machine à rétrogradation du temps« .

M.R.T.1, que j’ai mentionné précédemment, est la boussole numérique de cinquante centimètre de circonférence de laquelle fut extrait le message dont tu prends connaissance. M.R.T.1 est une capsule temporelle lancée à pleine puissance dans un cylindre en graphène de deux mètres de rayon. Chargé de rayons gamma et de neutrons, le cylindre subit une pression telle, qu’il s’élève à la surface de la Terre comme un puissant geyser puis se hisse à des hauteurs impressionnantes. À l’intérieur de ce rouleau de propulsion, la poussée d’accélération projette M.R.T.1 vers une faille atmosphérique identifiée et calculée. Lâché par le cylindre qui se désagrège dans l’atmosphère, M.R.T.1 voyage seul dans le tunnel quantique nommé « trou de ver » à la vitesse surpraluminique.  Lors de son déplacement, M.R.T.1 modifie les particules-antiparticules et donc, l’espace-temps. Concernant la date d’atmorissage du retour en arrière, c’est la force d’inertie qui propulse M.R.T.1 ainsi que sa vitesse de déplacement dans le cylindre qui déterminent le jour et l’année d’arrivée dans le passé.

Pour précision l’ami, M.R.T.1 est en quelque sorte, ce qu’à ton époque vous nommiez « une œuvre de sauvegarde collective de biens et d’informations« . Une de ces boites à secrets en forme d’obus, moulée dans un alliage de cuivre, d’argent et de chrome, dans laquelle se logeait un bocal de verre hermétique, qui selon la taille, renfermait des objets divers tels que des stylos, des articles de journaux, des bouts de tissus, des métaux, des graines, des matériaux divers et des messages sur microfilm.  Témoins de votre temps et relayeurs de votre vie à l’instant « T », ces coffrets adressés aux générations futures étaient enterrés comme un os dans un endroit spécifique lors de cérémonies. Parallèlement à ces mini-containers ensevelis, des plaques métalliques gravées destinées à d’hypothétiques extra-terrestres, embarquèrent à bord de sondes spatiales.

Quand j’ai su, il y a six mois de cela, qu’M.RT.1, sur laquelle travaillait d’arrache-patte une armada d’ingénieurs depuis des lustres, devait effectuer son premier vol expérimental, et qu’il était prévu que la capsule fasse un bond dans le passé de presque deux siècles, j’ai voulu être du voyage. Ainsi donc, aidé de mon maître que tu vas bientôt découvrir, j’ai postulé auprès d’M.R.T Enterprise. Par retour, j’ai reçu le règlement qui stipulait qu’M.R.T.1 n’était pas paramétré pour transporter des êtres vivants ou des robots, mais pour transporter des objets peu encombrants et légers. Selon les instructions, il était spécifié que j’avais le choix entre « expédier un journal interactif et holographique« , soit « proposer un objet représentatif de ma cité« . Enthousiaste à la pensée de partager ma chienne de vie avec les sociétés d’antan, j’ai opté pour la première proposition et espéré une réponse positive. Quinze jours plus tard, M.R.T Enterprise m’indiqua que parmi les vingt cinq mille prétendants, moi et dix autres de mes contemporains – humains, pas tout-à-fait humains ou aucunement humains – étions retenus. Sur les dix candidats, sept avaient coché la case « expédier un journal interactif et holographique« , sauf qu’il ne pouvait y en avoir qu’un seul de désigné. La place était chère. Je ne pouvais donc pas rester papattes en rond, couche-couche panier pour remporter le challenge. Je devais tout donner et me tirer les vibrisses pour me distinguer des autres. Crocs fermés, j’ai rien lâché et j’ai fait mon maximum. C’est ainsi, qu’après être passé entre les mains d’experts, avoir été soumis à des tests d’intelligence, de rapidité, de réflexion et de syntaxe, et après avoir répondu à une batterie de questions physiques, mathématiques et psychosociologiques, j’obtins la meilleure note. Selon le règlement, j’étais habilité pour envoyer tel que demandé, un carnet de bord conversationnel, pendant que les neufs candidats restants se contentaient d’adresser des objets d’utilité commune, quelques bijoux de valeur ou des outils du quotidien. Ainsi, après avoir enregistré, photo-calqué et mis en page l’épisode de vie dont tu prends actuellement connaissance, un de nos « Fouineurs professionnels » correspondant à ce que vous appeliez un « Geek » à ton époque, l’a extrait de mon disque dur et l’a recalculé. Il a ensuite converti les nouvelles données en métalangage binaire, les a transposé dans le DOOTLE Traduction, a sélectionné « langues anciennes informatiques« , a réécrit le texte pour le rendre accessible à votre siècle, a reformaté les images, a compacté les voix, a modifié les pilotes et a gravé l’ensemble sur un support compatible et transposable avec vos technologies d’alors.

Ainsi, le tour était joué !

Dans l’autre sens, cela ne vous serait technologiquement impossible. Ah ! Avant que j’oublie ! Pour information, je te rappelle que tu as la possibilité de passer à tout moment de l’écrit à l’audio et vice et versa, grâce aux icônes ♪ ou ♫ visuels et sonores qui se trouvent en pied de page.

Éclaircissement apporté, sache mon ami, que tel un conteur du futur, je vais te faire plonger au cœur de ma vie. Alors, un conseil : accroche bien ta ceinture et ouvre grand ton esprit, parce la masse d’informations nouvelles et surprenantes que je vais te donner va sacrément te secouer !

Tu souris et tu te crispes ?

Pas d’inquiétude, on va y aller au pas. Je vais d’abord récapituler les éléments que tu détiens sur moi et résumer ce que tu connais de mon environnement. Premièrement, tu es en mesure de me situer dans le temps. Tu sais déjà – vu que je te l’ai notifié au début de mon récit – que je vis en l’an de disgrâce 2201 du mois du Capricorne. Et donc, malin comme tu l’es, tu as compris que le mois du Capricorne correspondait à la période situé entre fin décembre et fin janvier de ton calendrier grégorien. Précisions données, tu as appris que je logeais sous la Terre qui es désormais, inhabitable. Pour finir, tu as aussi compris que j’étais un genre d’animal, mais pas exactement un animal ; que je vivais dans le futur ; que j’avais la capacité de détecter les pensées ; que je possédais une intelligence supérieure, beaucoup de savoir-vivre, un brin d’humour, de la spontanéité et de la curiosité.

Bon c’est bien, mais désolé de te dire mon cher lecteur du passé, tes connaissances sur moi sont maigres. J’oserai même dire, rachitiques.

Mais comment donc ?

Est-ce une frustration que je décrypte en toi ?

Tu désires que je te parle de MON MONDE sans passer par les cases « descriptifs » et « détails inutiles« .

Oh ! Halte-là l’ami ! Tout doux ! Ça vient ! Ça arrive !

Ne sois pas aussi pressé et ne commence pas à grogner comme un vieux chien mouillé. Apprends que je suis un cabot qui peut foncer sans réfléchir, tout comme je peux n’en faire qu’à sa tête et vouloir prendre mon temps. Et là ! Manque de bol à croquettes pour toi, j’ai décidé d’y aller tranquillos nonoss. Non, pour t’embêter mais parce que je tiens à toi et que je veux t’épargner un traumatisme culturel et générationnel.

Eh oui !

Eu égard au fait que « scientifiquement parlant« , tes pensées sont très limitées par rapport aux miennes ; qu’au regard du 22è siècle, tes connaissances sont obsolètes et largement dépassées, et que t’immerger tout de go dans la 4ème dimension trans-temporelle, à l’ère du post-humain, pourrait te provoquer un gros choc, j’estime plus sage et plus prudent d’avancer par étapes.

Tu sais Guy, si on m’a choisi pour correspondre avec toi, ce n’est pas seulement pour mes capacités rédactionnelles, pour mes aptitudes sensorielles et pour ma spontanéité naturelle, c’est aussi pour mon esprit de réflexion et pour mon grand discernement.

Et là, à ce stade de notre relation, j’ai la conviction de devoir t’entraîner comme un marathonien pour cheminer à travers Donte. J’ai la certitude qu’en l’absence de préparation mentale et psychologique, il se pourrait que mes déclarations te secouent. Logique, étant donné que ta conception des sociétés à venir est très éloignée de ce que nous vivons actuellement.

Entre nous, je m’en voudrais de te voir déclarer forfait avant la ligne d’arrivée. Dans le fond, je n’ai pas très envie que tu ralentisses ou que tu cales en cours de route. J’en serais chagriné. C’est pourquoi, en bon toutou précautionneux, je veux m’assurer que ton entrée sur Donte va se faire sans heurt et sans secousse.

Pardon ? Que dis-tu ?

Tu es touché par ma délicatesse.

C’est bien normal, voyons. N’es-tu pas « mon très cher lecteur du passé » ?

Soit.

Je disais donc, l’ami, que j’avais flairé qu’il te fallait pénétrer dans mon univers en douceur et sans précipitation, car des siècles d’éthiques, de sacrifices, de reculs et d’avancements technologiques nous séparent, voire même… nous opposent. Tiens d’ailleurs. À propos des avancements technologiques du futur, en passant je t’informe en passant que ce ne fut pas une longue suite de réussites et de succès. Science et politique se sont mêlées des découvertes et des expérimentations, et nous ont causé plus de tort que de bien. Enfin, je t’en dirai davantage dans les prochains paragraphes, même si je ne t’apprends rien en te disant que « Question progrès« , la science et la politique ont toujours été de mauvais partenaires. Ces deux domaines quasiment antinomiques, se sont maintes fois, entrechoquées dans leurs visions respectives et ont souvent conclu de désastreuses alliances.

Eh oui ! À ton époque, ces problèmes de cohabitation étaient déjà coutumiers. Navré de t’apprendre que le futur n’a pas arrangé leurs relations. Bien au contraire… Au fil du temps et au nom du pouvoir, de la reconnaissance, du droit, de la tolérance, du progrès, des intérêts personnels et des intérêts financiers, la science et la politique ont fait sauter un à un tous les verrous de la tradition, des valeurs, des mœurs et de la moralité. Cela a fini par plonger le monde dans une profonde désespérance et dans la confusion la plus totale. Résultat ! Le monde a implosé avant d’exploser en mille morceaux.

Enfin Guy, pour le moment, no panic. Mes explications politico-sociologiques feront l’objet d’un tout autre chapitre, même si on m’a conseillé de ne pas m’étaler sur les événements géopolitiques, sociologiques et historiques de ces cent quatre vingt dernières années. Logique ! Étant donné que tout est inscrit à l’avance et, qu’au final, rien ni personne ne pourra changer quoi que ce soit et stopper l’inéluctable chaos, mes autorités m’ont demandé de ne pas trop aborder ce type de sujet.

Au préalable, je vais te développer la genèse de Donte. Je vais t’expliquer son fonctionnement et la plupart de ses règles. De plus, chanceux que tu es, je vais t’offrir une histoire dans l’Histoire. Je vais te raconter une histoire de vie qui me passionne tout autant qu’elle m’angoisse, mais dont je ne connais pas encore l’issue finale.  

Eh oui !

Car alors que je me confie à toi l’ami, je n’ai pas la conclusion de ce récit qui se déroule sous mes prunelles. À l’heure qu’il est, je suis en incapacité de te prédire quand et comment s’achèvera cette histoire en cours. Néanmoins, je peux d’ors et déjà te dire que tu vas partager le quotidien de ces deux tourtereaux que je distingue depuis l’angle de pièce où je suis actuellement. Jour après jour, tu suivras leurs péripéties et tu vas partager leurs questionnements, leurs afflictions, leurs victoires, leurs attentes et leurs espoirs, à travers moi. Tu vas avancer avec eux dans ce défi périlleux qui les attend, et tu vas les accompagner jusqu’au dénouement final, que j’espère heureux.

En sus ! Bonheur des bonheurs, joie des joies, Alegria y Félicidad ! Comme tu l’auras deviné, par l’entremise de mes pensées, tu vas bénéficier d’une ISA. Pour mémo, je te rappelle qu’ISA signifie “Intelligence Supérieure Artificielle”.

En résumé, sacré chanceux que tu es, grâce à la multitude de détails fournis par moioouarf, tu vas vivre ma vie par procuration ; tu vas t’immerger par paliers de décompression dans ma cité-bulles et tu vas t’introduire dans les cerveaux humains.

Rien de mon passé, de mon présent et de mon futur à venir, ne te seront cachés. Dans la mesure du possible et, hormis les saveurs et les odeurs qu’il ne m’est pas possible de te transmettre à distance, tout te sera intégralement retranscrit. De la sorte, ce que je verrais, tu le verras par mes prunelles. Tout ce que j’entendrai, tu l’entendras par mes oreilles.

C’est pas de la balle en caoutchouc, ça ? Tu n’es pas un petit veinard, toi ?

Enfin, pas de mégarde entre nous ! Ne te méprends pas mon cher lecteur du passé. Si je partage aussi volontiers mes secrets avec toi, c’est que primo, je suis un gentil toutou discipliné, deuzio, on me dit très doué pour raconter des histoires, tertio, je suis terriblement, abominablement, suprêmement excité à l’idée d’ajouter mon os dans l’édifice du progrès, et quarto, te servir de guide est pour moi une super expérience doublée d’un chouette amusement.

Quelle récompense pour moi qui, dans une autre vie, aurais aimé me mettre dans la fourrure d’un chien guide touristique et multilingue, pour exercer ce fantastique métier ! C’est en fourrageant dans mes archives du passé que j’ai découvert que plusieurs de mes ancêtres canins et robotiques avaient exercé cette profession. Malheureusement, à la dévastation de la Terre, ce métier a, lui aussi, disparu.

« Ouaffff… » de tristesse.

Quoi ? Tu penses que j’idéalise ce travail ?

Je ne crois pas. Imagine un peu ce que serait de faire le tour du monde ! De naviguer sur des bateaux à voile ou à moteur ! De voler dans les airs à bords de grands avions de ligne ! De crapahuter dans des chemins de randonnée ! D’escalader de hautes montagnes ! De rencontrer des autochtones ! De découvrir des paysages incroyables et surtout de pouvoir creuser dans des sols sablonneux, boueux, de glaise ou argileux.

Comment ça, creuser c’est réservé aux jardiniers et aux archéologues ?

Ah oui, tu as raison ! L’excitation m’a égaré. Enfin, quoi qu’il en soit, j’ai souvent rêvé d’être un chien guide touristique et multilingue. Cela m’aurait caninement plu d’en être un. C’est pour ça qu’avec toi l’occasion m’est, en quelque sorte, donnée. Tu comprendras donc que je suis cybernétiquement joyeux de t’offrir ce voyage dans un monde inconnu et radicalement différent du tien… Et cela à tous égards !

J’en suis tellement content l’ami, que me voilà faisant le beau tout seul sur place, sans que mon maître n’y prenne garde. Il faut dire que le pauvre est trop occupé à se morfondre et à raisonner en lui-même pour me porter de l’attention. Il me fait tellement de peine…

Enfin ! Passons !

Ce n’est pas encore le temps de t’entretenir de lui. Revenons à nos taupes d’élevages et parlons plutôt de moi. Guy, le temps est venu de me présenter à toi en chair de synthèse et en puces modifiées.

Ah ! Je sens un frétillement d’excitation de ta part.

J’avoue être honoré que mon humble animalité t’emballe à ce point. Je vais donc m’affairer à satisfaire ton envie de me connaître.

Je suis Em Broglio, résident permanent de Donte. Chien robot, paramétré pour être « Franc » et « Loyal« , j’ai été crée et suis sorti tout droit de l’imaginaire d’un bouillonnant et brillantissime cerveau de nano technologue que j’appelle affectueusement Dad.1, puis j’ai été monté et assemblé par la main d’un surdoué de l’électronique que je nomme Dad.2.

Satisfait de cette présentation Guy ?

Non ? Tu trouves cela trop léger.

Eh bien l’ami ! Que t’arrive-t-il ? Pourquoi grommelles-tu dans ta tête ?

Tout à l’heure, tu m’engageais à sauter les détails inutiles et maintenant tu te plains que je n’en dise pas assez.

Comment ça, tu es désolé ? Comment ça, tu veux encore des informations sur moi ?

Et si je faisais ma tête de chien ? Hein ? Et si je n’accédais pas à ta  requête ? Qu’en dirais-tu ?

Tu me dirais que c’est dommage.

« Ouaf ! Ouaf ! » de plaisir.

Bien évidemment, c’était une blague. Je suis joueur et j’aime ça. Cependant, de par ma nature « franche et loyale« , je ne peux cybernétiquement pas te priver d’éléments fondamentaux te permettant de comprendre qui je suis. Je ne peux décemment, pas te léser et te cacher comment je fonctionne ; comment je raisonne et pourquoi j’interviens de telle ou telle façon au cours de la narration.

Parole de clebs ! Je me suis fais un devoir de ne rien camoufler de ma personnalité.

Car oui, une personnalité j’en ai une et tu vas la découvrir !

Tu as hâte ?

Quel dommage que tu ne puisses me voir !

Tu aimerais ?

Eh bien, penchons-nous sur ma modeste animalité. Enfin, pas si modeste que ça, puisque sur Donte, je fais partie des cyborgs de luxe réservés à une poignée de privilégiés. Dans ma cité, j’ai un statut élevé même si je n’en tire aucune gloire ni la moindre fierté. Non, au contraire. En opposition à l’égoïsme qui règne sur Donte, j’utilise mes capacités pour aider la communauté et pour le bien de mon gentil maître, Jasmé A.M.P…

« Ouaaaf… » soupir de désolation.

Bref, le temps n’est pas aux lamentations Guy, et la perspective de te confier quelques Tétra-Octets de moi, me ravigote et me réjouit. J’en ai la queue qui gigote et mâchoire qui tremblote. Toutefois, avant de t’énumérer mes capacités géno-mécaniques, je vais te parler de mon humble personne. Enfin, « personne » n’est pas le mot exact, car je ne suis pas une personne – bien que j’en possède de nombreux attributs et que dans certains domaines, je dépasse allégrement l’humain – et guère plus un animal tel que tu le conçois. Sans jouer sur les mots – car je déteste l’ambigüité et les à-priori – je suis ce que les avancées de ton époque, définiraient comme un robot de dernière génération. C’est-à-dire, une machine ultra perfectionnée et douée d’intelligence.

Ah ! Autre chose, tant que j’y pense !

Ne sois pas surpris l’ami, si tu as repéré que de temps-à-autre, je me qualifiais « d’animal modeste » ou si tu as noté que mon humilité apparaissait souvent, parce que sans conteste, je suis « humble« . Oh ! Je n’ai aucun mérite à l’être, bien que j’aspire et que je m’applique chaque jour à l’être davantage. Oui, car malgré la raréfaction de la modestie, c’est à contre courant de l’orgueil ambiant et devenu « la norme« , que Dad.1, mon excellentissime et brillantissime concepteur, a jugé bon de caser l’humilité dans mes circuits originels.

C’est donc inné chez moi !

Qu’il est bon d’être humble et modeste. Qu’il est bon d’avoir une vision réaliste et non déformée de soi. Qu’il est bon d’être lucide et d’avoir les prunelles grandes ouvertes sur ce que je suis vraiment. Qu’il est bon de savoir reconnaître mes manques et mes faiblesses. Qu’il est bon de ne pas être autocentré sur moi, mais de voir l’autre comme étant supérieur à moi. Qu’il est bon de ne pas venir grossir les rangs des égocentriques notoires, des narcissiques imbus d’eux-mêmes et des individualistes orgueilleux pullulant sur Donte.

 André Comte-Sponville, un philosophe français de ton époque, disait que l’humilité n’est pas ignorance de ce qu’on est, mais plutôt connaissance ou reconnaissance de ce qu’on n’est pas.  Personnellement, je trouve cela très juste. En somme, mes faiblesses sont ma richesse. Elles me permettent de ne pas oublier d’où je viens, d’être reconnaissant pour ce que je suis et de mesurer, qu’en réalité je ne suis qu’un assemblage de pièces.

J’ai conscience que malgré mes compétences développées, je suis un tas de ferraille qui, un jour ou l’autre finira remisé dans un coin où je rouillerais des jours piteux. En attendant, je reconnais que mon éminentissime inventeur Dad., a eu la truffe fine de m’intégrer ce trait de caractère. Cela m’a gardé de bien des déboires…

« Ouuuaafff… » de soulagement.

Bon, allez place aux choses sérieuses !

Voici le moment venu Guy, où je vais me présenter à toi de patte en cap. Et pour marquer l’étape attendue, un roulement de tambour serait du meilleur effet. Malheureusement, je n’ai pas de tambour sous l’ergot. Nous nous en passerons donc. Pour l’occasion, je le remplacerais un grognement de gorge : « Grrrrrrrrrrrrrrr… rrrrrrrrrrrrr…Grrrrrrrrrrrrr… », suivi d’un fléchissement de mon grasset en aluminium brossé et d’un courbage de nuque articulée.

Je te salue bien bas l’ami.

Me voilà donc ! Em Broglio, premier du nom, prototype révolutionnaire estampillé « Bioniquadrupede« , et classé dans la catégorie « chien de compagnie et meilleur ami de l’homme« .

Quoi ? Que discerne-je ? Qu’entrevois-je dans tes pensées ?

Tu t’en doutais. Tu le savais que j’étais quelque-chose du genre.

Mmm… soit. Il faut dire que je n’ai pas lésiné sur les indices. J’ai été généreux avec toi l’ami.

Tiens ? Mais que signifie ce sourire ironique ?

Tu t’étonnes qu’on ait pu me choisir un tel patronyme. Tu le trouves curieux et il te fait rire.

Eh bien, la belle affaire !

Certes l’ami, je te l’accorde, Em Broglio est un nom fort peu commun, même à mon époque. Seulement, c’est un nom auquel je tiens et que je chéris pour trois raisons. La première, parce qu’il m’a été donné par celui que j’aime par-dessus tout, c’est-à-dire mon maître adoré Jasmé A.M.P… . La deuxième, parce qu’il correspond en partie à mon tempérament original. La troisième, parce qu’il définit assez bien à mon caractère de chien. Un caractère doux mais affirmé que tu saisiras au fur et à mesure de mes actions et de mes réactions.

À ma conception, je ne m’appelais pas. On me désignait simplement avec le matricule « P.1.C.R.P.S » qui signifie « Prototype 1 Chien Robotique à Pensées Surdéveloppées« . Ce n’est que lors de mon acquisition, que mon maître Jasmé A.M.P… qui m’avait choisi parce que j’avais du chien et des compétences hors du commun, a pris conscience de mon esprit sans cesse en mouvement et de ma matière grise en perpétuelle réflexion. Estimant que j’étais un spécimen à part et très complexe, il a souhaité me baptiser en conséquence et s’est creusé la tête pour me trouver le nom parfait. Réfléchissant au patronyme conforme à mes caractéristiques, il hésita longtemps entre : « Pêle-mêle », « Bredi-breda », « Brouillamini », « Micmac », « Méli-mélo » et « Im Broglio ». Au final, il choisit « Im Broglio » dont il changea le « I » du début en « E« , considérant que cette orthographe sied bien mieux à mon regard espiègle et me collait davantage à la fourrure.

Ah ! En aparté. Jasmé A.M.P… – mon maître comme tu l’avais déjà compris – est le principal protagoniste de l’histoire dans laquelle tu vas t’immiscer avec moi. Bref, cette mini information est juste une petite mise en gueule pour te faire saliver et te donner l’envie d’aller plus loin avec moi et lire la suite avec appétit et frénésie. Précision donnée, je referme la parenthèse et je termine de te brosser mon portrait.

Donc, pour en revenir à ma modeste mais néanmoins admirable « animalité« . Mmm… attention, pas d’amalgame. Aucun orgueil là-dedans. Si j’emploie le terme « admirable » pour me désigner, c’est par hommage et par reconnaissance envers l’admirable auteur de mes jours. L’Admirable, c’est lui, et donc moi à travers lui. Pour ton information Guy, toutes les fois où l’adjectif « admirable » ou le nom féminin « admiration« , seront signifiés dans ce journal interactif, cela te rappelleras l’admiration sans borne que je voue à Dad 1, mon génialissime créateur, même si je considère Dad 2, mon constructeur et assembleur, comme un pur génie qui a toute ma gratitude.

Dad 1a lui, toute mon admiration. Tout mon attachement. Toute ma dévotion. Mon admiration pour lui est à la hauteur de son intelligence et de son talent. Eh oui ! Du talent il lui en a fallu pour concevoir un Androïde tel que moi. Car, fausse modestie, parmi toutes les créatures élaborées sur Donte, je représente le summum de la technologie et de l’intelligence artificielle, anciennement « I-A » et devenu « I.S.A« . À moi seul, je représente une encyclopédie universelle en milliers de volumes. Je suis un dictionnaire sur pattes et un concentré d’intelligence. Je peux dire – sans me vanter – que j’ai la science infuse, et un stockage mémoire qui te laisserait pantois. À mon époque, nous ne parlons plus en termes de « Méga-octet« , de « Kilo-octet » ou de « Giga-octets« . Nous définissons les capacités de stockage interne, en mesure « Bion » et en « Puissance de Bion« . On les dénomme Bion1 Bion 2 Bion3…etc. Pour te donner une échelle de quantité, Bion1 qui correspond à notre classeur de base, a une capacité de stockage mille fois plus importante que votre capacité de stockage la plus élevée. Imagine un peu les autres…

J’ai de plus, la capacité d’apprendre de moi-même. Pas besoin de logiciel ….. (enseignement) J’auto-apprends et je m’auto-enseigne grâce à la masse d’informations qui circule par ondes sur les autoroutes du savoir que je me télécharge à volonté. En prime, je suis physiquement proche de la perfection. Je suis la copie parfaite et supra évoluée du Shiba inu. Je ressemble trait pour trait à ce chien si incroyablement beau et si…

Ah… Mais… Quoi ?

Quel est ce blanc dans ton cerveau quand je te parle du Shiba inu ? Ne me dis pas que cette race de chien ne te dit rien ?

Si. Tu avoues ne pas connaître.

Enfin voyons, Guy. Comment peux-tu ignorer le Shiba inu, ce chien magnifique de taille moyenne, au faciès de renard, aux oreilles portées hautes et au port de tête altier ?

Ah, ça y est, tu le visualises. Ah ! Ouf, j’ai eu peur. On n’était pas sorti de la niche s’il t’avait fallu faire des recherches sur les canidés. Ça aurait pu nous déconnecter et interrompre l’échange.

Tiens, pendant que j’y songe. Commande donc du café à ton assistante avant qu’elle ne quitte son bureau. Demande-lui carrément un grand thermos et des p’tits beurres dont tu raffoles, parce que ça va risque de prendre des heures pour aller au bout de mon histoire. Ah ! Prends-toi aussi des vitamines. Tu en auras bien besoin pour rester concentré et ne pas décrocher. Oui, je sais que c’est une bonne idée. On me dit souvent que j’ai de la suite dans les idées… En passant, tu salueras ton assistante de la part d’Em Broglio. Tu lui diras que je la trouve charmante et qu’elle aurait eu largement sa place dans les sphères les plus prisées de Donte. Il faut dire qu’elle a de très bons arguments, si tu vois ce que je veux dire.

Comment je sais qu’elle est jolie ? Allons, voyons Guy, tu me sous-estimes.

Bon continuons. Mmm…où en étais-je ? Ah oui, comme je te le disais, calqué sur la magnifique physionomie du Shiba inu, j’ai une robe blanche et fauve et d’incomparables qualités. Avec moi, pas de déjections. Donc, inutile de s’encombrer d’un sac à crottes quand on m’emmène en balade, ni s’angoisser pour d’éventuels lâchers de pipis sur les bottes du voisin.

Pourquoi je te parle de ça ?

Non pour me glorifier de ce que je suis, mais parce que je sais qu’à votre époque vous deviez sortir mes congénères – dépourvus de technologies et non génétiquement modifiés – trois ou quatre fois par jours pour qu’ils fassent leurs besoins. Je sais, pour l’avoir lu dans divers témoignages, que ce n’était pas l’activité la plus passionnante qui soit.

Dans mon monde, il n’est pas à la portée de tous de posséder un spécimen tel que moi. Primo, parce qu’un congénère de mon espèce coûte excessivement cher, et deuxio, parce que c’est à nous que revient le choix du maître et non pas l’inverse. En effet, pour être accepté, l’aspirant et potentiel propriétaire est tenu de répondre à certains critères. Des critères qui sont en réalité, des prédispositions ou des aptitudes congénitales, et qui doivent nécessairement s’accorder aux critères dont on nous a dotés à la fabrication.

Souvent, les critères du potentiel acquéreur sont opposés à ceux du « Bioniquadrupede » qui l’intéresse. Ainsi, de la même manière que les deux pôles d’un aimant, les critères de l’homme et de l’animal de compagnie peuvent se repousser ou s’attirer. C’est pourquoi malgré leur argent et leur grand attrait pour nous – même s’il nous désirait à n’importe quel prix – un pourcentage élevé d’humains n’aura jamais la chance d’avoir un compagnon doux et fidèle tel que nous à ses côtés, et devra se rabattre sur un robot primaire, sans émotion ni réflexion.

Oh, mais je discerne dans mon programme de perception des pensées que tu te languis de découvrir la faune du 22e siècle. Ok, parfait, je vais satisfaire ton envie. Tout d’abord, apprends sans mépris ni moqueries de ma part, que bien loin des sympathiques mais guère futées bestioles à quatre pattes de ton époque, je suis le meilleur ami de l’homme en version robotisée, ultra-perfectionnée et sur-améliorée. Avec moi, fini les “Assis, couché, debout”. Sans avoir perdu le caractère fidèle et affectueux de vos toutous et autres matous, je suis labellisé et estampillé « ISA” “intelligence supérieure artificielle » et je possède une mémoire bionique qui consigne ce que je pense, ce que j’entends, ce que je sens, ce que j’entreprends, ce que je discerne, ce que j’envisage et ce que je vois.

Ça te parait dingue, n’est-ce pas et oh combien, je te comprends ! Tu es en train de te dire : Waouh, c’est extraordinaire ! Oui ça l’est, je te l’accorde. Seulement, dans ma réalité mes aptitudes ne font pas l’unanimité. Ici, peu d’humains apprécient de vivre avec des « Bioniquadrupedes » qui s’infiltrent en eux et décryptent leurs neurones. Sur Donte, de nombreuses personnes choisissent d’avoir des « Domestiques« . C’est une catégorie de robots moins élaborés, conçus pour répondre aux besoins basiques des hommes et pour accomplir des tâches élémentaires.

C’est ainsi !

Il en faut pour tous les goûts et aussi pour toutes les bourses !

Sinon, pour parfaire la description de mon espèce, je peux te dire sans prétention – car c’est un défaut dont je suis exempt – que nous autres chiens et chats de compagnie, sommes particulièrement attrayants. Nos poils en fibre naturelle de vers à soie sont particulièrement doux et duveteux. En supplément, ils ne tombent pas, ne grattent pas, ne s’emmêlent pas et s’auto-nettoient. Nous possédons cinq doigts aux membres antérieurs – dont un ergot placé en arrière qui ne touche pas le sol – et quatre doigts sur les membres postérieurs. Au bout des doigts, nous avons des griffes rétractiles soutenues par des coussinets plantaires pour empêcher toutes griffures intempestives. Nous n’avons pas non plus la langue râpeuse ni une haleine de sardine. Nous ne mordons pas, ne griffons pas, ne miaulons pas comme des bébés affamés et n’aboyons pas. Tout au moins, pas sans raison. Pour terminer, je t’informe que nous possédons un flair surdéveloppé, que nous sommes des modèles d’obéissance et que nous apprenons la discipline en un temps record.

Le rêve quoi !

Enfin… le rêve… C’est un peu exagéré… Mmm… j’avoue quelques déficiences. Moi, dont les circuits sont très performants et les programmes sont de haute gamme, côté jactage, conversage ou papotage avec les hommes, je suis loin d’être un as. Pour tout dire, je suis même assez médiocre. En réalité, à part produire un « Ouaff …  » de contrariété que je nuance selon mes humeurs en « Ouaff ! » de bonheur, ou en « Rouaff ! Rouaff ! » les jours de grande liesse, mes possibilités vocales restent réduites. Certes, pour pallier cette insuffisance, je peux moduler mes aboiements cyber technologiques et associer des sons particuliers à une phrase spécifique. Je peux aussi m’aider de sources extérieures pour mieux me faire comprendre, mais, nonobstant cela, ma communication orale demeure est extrêmement restreinte.  

Étrange, pourrais-tu te dire mon cher ami. Étrange que toi que l’on a conçu avec une technologie de pointe ; toi qui possède des connaissances et une intelligence supérieure à celle de l’homme, toi qui a de la suite dans les idées et des de caractéristiques incroyables… étrange que l’on t’ait privé de l’outil de la parole…?

Eh oui !  Bien que mon cher concepteur, Dad 1, ce génie génial à l’origine de ma création, m’ait incorporé un PCT « Programme de Compréhension Télépathique » pour que je lise dans les pensées humaines ; m’ait doté d’un niveau de conscience que je travaille et que j’améliore au fil du temps, et m’ait pourvu de perceptions cognitives presque aussi performantes que celles des hommes, il ne pas alloué de cordes vocales.

Guy. Mon très cher et très précieux correspondant, il te faut savoir qu’au 22e siècle, malgré notre panel étendu d’innovations multiples et d’inventions en tous genres, le langage des hommes n’est pas une fonction dévolue aux « Bioniquadrupedes« .

Pourquoi ? Mystère et boule de silicone.

Étonnant lorsqu’on y songe, puisqu’à ton époque, pouvoir parler et échanger avec un robot primitif ou même avec une simple boite de conserve améliorée, était ardemment souhaité et recherché par les ingénieurs de tous poils. Les expériences étaient nombreuses pour permettre aux robots d’échanger avec les hommes. En ce temps, les techniques pour améliorer le langage progressaient d’année en année, et même si on préenregistrait les mots et que les phonèmes de voix restaient mécaniques, l’oralité était en marche. D’ailleurs, il suffit de se remémorer les poupées parlantes. Dès le 20ème siècle, elles inondaient le marché du jouet. Dans mes archives personnelles, j’étais même tombé sur un article datant du 2 juillet 1950, écrivant qu’un fabricant avait eu l’idée de garnir ses peluches de cassettes magnétiques pour leur faire dire quelques phrases.

Pour dire !

Ma question comme la tienne, est : Pourquoi l’homme qui depuis des centaines d’années a cherché à communiquer avec la machine, lui a-t-il coupé la parole ?

Vaste question !

Sur Donte, il faut savoir que tous ne sont pas logés à la même enseigne. Contrairement à nous, « Bioniquadrupedes, chiens de compagnie et meilleurs amis de l’homme« , voués à japper, grogner, secouer leurs flancs ou faire des pantomimes pour être compris de l’homme, les humanoïdes ont eux, la capacité de s’exprimer dans la langue de Molière.

À la question du  » Pourquoi ? » débattue maintes et maintes fois par notre espèce, nous recevons en retour des fins de non-recevoir ou bien des réponses évasives, telles que : C’est comme çaContentez-vous de ce que vous avezEh puis quoi encore ? La parole ? Et pourquoi pas un sucre et deux oreilles de couenne ? Pensez aux robots domestiques et soyez reconnaissants de ce qu’on vous donne !

« Ouaf…  » de dépit.

Depuis la nuit des temps, on dit que l’homme est un animal doué de langage et que le langage est le propre de l’homme. À croire que l’homme que l’homme se réserve jalousement cette prérogative. Ou bien alors, c’est politique et purement stratégique. Peut-être est-il inscrit dans les conventions, « que l’animal quoique évolué, doit demeurer au rang de sous-espèce et ne pas dépasser le maître… » ?

Eh oui ! Même s’il m’est possible de moduler quelques jappements ou de faire quelques effets de gorge, je communique avec mon maître comme n’importe quel chien biologique connu à ton époque.

Bien que je sois un modèle de technologie, mes modes d’expressions sont ceux de tout clébard basique. Cela se limite à me poster devant mon maitre, langue pendante et respiration bruyante pour lui indiquer une urgence. À tirer sur son vêtement pour le diriger là où je veux qu’il aille. À faire des allers retours entre lui et ce que je veux qu’il regarde. À me raidir et à dresser les oreilles quand je pressens un danger. À couiner en soupirant très fort pour qu’il s’occupe de moi. À m’asseoir sur mon arrière train en le fixant du regard pour qu’il joue avec moi, ou à lui tourner autour pour qu’il s’intéresse à moi. À poser ma tête sur ses genoux ou à soulever son bras pour obtenir un câlin. À lui exprimer ma joie en courant en tous sens et en faisant le fou…

Ben oui, à faire le fou !

Faire le fou, c’est ce qui arrive à un Em Broglio dont les programmes saturent, surchauffent et disjonctent. Mon pétage de plomb à cause d’une mauvaise ventilation de mes circuits internes, c’est quelque chose qui fait mourir de rire Jasmé. Quand ça m’arrive, il se marre comme un bossu en se tenant les côtes. Bof, moi ça m’est bien égal. Je travaille à ma modestie, alors quand il se fiche de mes dysfonctionnement, je ne m’en offusque pas. Je défragmente et j’attends de refroidir. Parfois, j’ai besoin d’une bonne réinitialisation pour me remettre tous les octets en place. Cela peut prendre du temps, mais une fois mes défaillances réparées, je me fais une joie de relancer mon maître pour qu’il s’occupe de moi.

Au fond, ne pas pouvoir m’exprimer vocalement n’est pas si grave. Habitué à mes divers modes d’expression, mon maître capte la plupart de mes attitudes et décode facilement mes aboiements. On se connait bien tous les deux, et on se comprend vite. Il n’empêche que je suis frustré. Je suis frustré de ne pas pouvoir dialoguer avec lui de manière claire et audible. Il est certain que quelquefois… Mmm… pour être honnête, disons plutôt, que souvent, ça me met les câbles en pelote.

Ah la patience !

Je ne sais pas pourquoi mon génialissime et inégalable concepteur a mal dosé cette vertu essentielle dans mon corpus ex movere. Résultat. Je dois constamment lutter pour garder mon calme et éviter les comportements inadaptés. Me sachant dysfonctionnel de ce côté là, je tente de me maîtriser pour éviter les erreurs.

Tu te demandes pourquoi je n’utilise pas un journal interactif pour communiquer avec ceux de ma cité ?

Pour la simple et bonne raison que c’est un outil de dernière génération non accessible au quotidien. Vu sa complexité, le journal interactif n’est réservé qu’à des missions spécifiques telle que la nôtre. De plus, comme l’avais souligné quelques lignes en arrière, sur Donte, le dialogue n’est pas une fonction affectée aux « Bioniquadrupedes« . Je suppose que c’est une manière de nous restreindre dans nos capacités déjà surdéveloppées par rapport aux hommes non génétiquement modifiés. Une volonté de conserver un attribut humain et une supériorité sur nous.

Comme je l’ai évoqué tout à l’heure, sur Donte, tout le monde ne peut s’offrir un compagnon doué d’intelligence à la fourrure régénérable. Le coût en est élevé. Les seuls animaux qui étaient chez les humbles (peu d’argent) et les bienveillants, étaient ceux qui avaient suivi leurs maîtres lors de leur mutation inhérente au second choix.

Au fait Guy, tu le connais Spot, le premier chien robot né au 21e siècle ?

Ah… Tu en as entendu parler. D’accord. Eh bien, si tu le croises à l’occasion, passe-lui le bonjour de ma part. Fais-lui un bisou sur la truffe de part de son petit petit fiston.

(Si vous voulez connaître la suite, il vous suffit de liker)

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